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Vous me direz peut-être que c’est pas le moment de parler de cinéma.

En ce moment c’est le défilé des prises de positions politiques par des gens qui restent habituellement très prudents dans ce domaine, et qui se trouvent immédiatement rappelés à la neutralité — sans doute la meilleure preuve que ce n’est pas inutile.

J’ai l’impression de ne pas faire mystère de mes opinions (de gauche, un peu marxiste, vaguement anar'), mais peut-être que ce n’est pas si clair que ça en lisant mes newsletters, et qu’en évitant de dire directement les choses je m’offre le confort de la neutralité, moi aussi.

La vérité c’est que je suis terrorisé et pas optimiste, donc peut-être bien que justement si, ce soir c'est exactement le moment de parler de cinéma, parce que c'est aussi là que je vais chercher du réconfort quand tout est merdique, et parce que ça nous fera tous une respiration avant des semaines qui s'annoncent éprouvantes.

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Ces derniers temps, j'ai tâché de retourner en salles pour voir de nouvelles sorties, en plus de ma programmation "répertoire" habituelle, j’espère que ça vous intéressera — et pour une raison que j'ignore, je me suis retrouvé à avoir envie de vous parler des films deux par deux.

Civil War / Furiosa

Parler des films sans les avoir vus

J’attendais avec une certaine fébrilité de voir Civil War. Avant même sa sortie ciné, le film avait suscité de grosses polémiques aux États-Unis — surtout sur l’idée qu’il est irresponsable de parler de guerre civile alors même que les braises d’une véritable guerre civile couvent actuellement dans le pays (ce qui est discutable).

Civil War est certainement un film qui n’a rien de spécial à dire sur la situation politique actuelle aux États-Unis. Les références plus ou moins directes à Trump sont jouées comme un décor, un contexte qui rappelle vaguement quelque chose, en laissant suffisamment de choses dans l’implicite pour pouvoir se défendre de parler directement de la réalité. Il me semble que la meilleure manière d’y penser, c’est que si le film avait été tourné dans les années 80, l’action se serait déroulée dans un pays fictif d’Amérique centrale, à la manière de Predator (aussi sur ma liste de trucs à voir : Under Fire, une histoire de photographe de guerre au Nicaragua)

Les Américains se plaignent parce qu’ils auraient voulu un commentaire plus direct, un film à clef, un film didactique, où les dialogues de chaque scène pourraient être mappés directement sur un débat déjà connu — à la manière de Zootopia, par exemple. C’est la raison pour laquelle ils se geignent (truc que j’ai lu un grand nombre de fois) « Oui mais j’aurais vraiment voulu savoir ce qui a bien pu se passer pour aboutir à une alliance entre la Californie et le Texas » — alors que justement, l’absurdité de la proposition est là pour signaler qu’il n’y a pas de commentaire direct à chercher. 

Évidemment le film mérite l’incompréhension qu’il suscite et les critiques qu’il a reçues. Le président du film n’a que quelques répliques, mais sa rhétorique évoque clairement Trump, et il est un peu facile de venir dire ensuite « Hein ? Quoi ? Moi ? Non ». Les interviews provocatrices de Garland n’ont rien fait pour arranger les choses. Je me demande dans quelle mesure il ne s’agit pas d’une stratégie markéting délibérée : le film a coûté assez cher et A24 aurait eu peine à encaisser un échec commercial complet. 

Et maintenant qu’on a évacué tout ce qui était autour, je peux dire que j’ai vraiment aimé le film lui-même.

Il me semble que c’est, fondamentalement, un film qui n’a pas grand chose de très complexe à dire : la guerre est atroce mais elle attire et fascine et détruit finalement toutes celles et ceux qui s’en mêlent, même et surtout quand iels croient pouvoir rester neutres. Elle transforme les vainqueurs en bourreaux, quelle que soit la justesse de leur cause. Celles et ceux qui refusent de s’en mêler sont presque les pires de toustes. 

Au milieu des gens qui s’écharpaient sur Reddit à propos du film, il y a quelques mois, deux posts me restent en mémoire : le gars disant « Je suis soldat depuis 20 ans, j’ai fait la guerre à beaucoup d’endroits du monde, et c’est la description la plus vraie de la guerre que je me souvienne avoir vu au cinéma. Et elle m’affecte d’autant plus que je reconnais le pays où elle se déroule » ; et le gars disant « J’ai 20 ans et j’ai appris à ne voir la guerre au cinéma que comme un truc horrible, alors que là les scènes d’actions étaient électrisantes, ça m’a donné envie, viscéralement, d’aller me battre, et c’est horrible ». On s’en fout de savoir ce qui a causé l’alliance entre le Texas et la Californie. Le sens du film est dans la simultanéité de ces deux idées.

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