Bonsoir tout le monde.
J’espère que vous avez passé un plaisant été et que vous êtes dans une forme paralympique pour cette rentrée (c’est comme une forme olympique, sauf qu'on en parle moins).
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Allez, on oublie les articulations qui couinent, on rentre le ventre pour arriver à fermer le costume de scène, et c’est parti.
1. City of Darkness
Dans les premiers jours de l’été, j’avais eu l’occasion de voir en avant-première un film d’action chinois actuellement en salle, City of Darkness.
Le film entier se passe dans un endroit dont vous avez sans doute déjà entendu parler : la citadelle de Kowloon, sorte de bidonville immense, ultra-compact et vertical, bâti progressivement à partir de la fin du XIXe siècle dans une minuscule enclave chinoise située à la périphérie de Hong-Kong.
On estime que, dans les années 80, la citadelle de Kowloon était l'endroit le plus densément peuplé de l'histoire de l'humanité, avec plus d'un habitant au mètre carré. Elle fut démolie dans les années 90, avant la rétrocession de Hong-Kong à la Chine par le Royaume-Uni.
Il y a une dizaine d'années, vous avez peut-être vu passer cette infographie représentant l'intérieur de la citadelle :
Ou bien ce diagramme en coupe :
Ce dernier diagramme, qui circule depuis un moment sur le web, est issu d'un livre japonais, et cet été, quelqu’un en a enfin produit un scan haute résolution :
Pendant les ultimes phases de l'expulsion des résidents, au début des années 90, une équipe de recherche japonaise a été autorisée à accéder à la structure, alors en grande partie vide, afin de documenter ce qui pouvait l'être avant la démolition. Leur travail a été compilé dans un livre de 1997 qui reste une des principales sources d'informations sur l'enclave. Son élément le plus célèbre est une vue en coupe dépliable, établie grâce à un mélange d'urbex, de travail de géomètre, d'anthropologie culturelle et de licence créative. Elle montre comment il est possible de faire tenir 13 personnes tous les 10 mètres carrés. Vous avez probablement vu un scan partiel de ce panorama en ligne, et si vous êtes comme moi, vous avez été frustré de ne pas pouvoir zoomer davantage sur l'image pour en voir les détails.
Je vous laisse le temps d'aller l'admirer.
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Démolie depuis 30 ans, la citadelle existe toujours sur internet, plus célèbre désormais que quand elle était encore debout, et c'est drôle que tout le monde en parle avec des étoiles dans les yeux, tout en s'accordant pour la décrire comme un lieu glauque, surpeuplé et insalubre — une espèce de cauchemar cyberpunk. C’est peut-être ça la réussite de City of Darkness, d’ailleurs : montrer que malgré la crasse et la promiscuité, la citadelle était aussi un espace de liberté et d’accueil, peuplé d’humains avec leurs propres histoires.
2. Un Intervilles permanent
L’été olympique touche à sa fin. J’avoue que je n’en ai pas vu grand chose, en dehors quelques minutes de surf qui m’ont paru guère accessibles au profane, et d’un match de hockey sur gazon très différent de ce que je m'imaginais (les crosses sont trop courtes, non ? Les joueuses semblaient pliées en deux).
La France, en tant que pays hôte de ces jeux, avait le privilège d’ajouter à la liste des épreuves un certain nombre de sports, soit officiels (breakdance, surf, escalade...), soit en démonstration (technos de surveillance et arrestations arbitraires). Je regrette néanmoins que les choix de ces nouvelles épreuves ait été un peu frileux.
Moi j’aurais bien voulu plus d'audace. Imaginez un peu le retour des disciplines artistiques (littérature, peinture, sculpture, musique...), comme de 1912 à 1948 ; de la pelote basque, comme en 1900 ; de la canne de combat, comme en 1924 ; du tir à la corde, comme de 1900 à 1920 ; des courses de bateaux à moteur, comme en 1908.
(Moins drôle, aux JO de 1904 à Saint-Louis, il y avait un zoo humain. Mais rappelons que ça aussi, c’est une tradition française vivace)
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En vérité, l’épreuve que j’aurais vraiment voulu voir, c’est ça — la traversée d’une pump track à pavés située au milieu d’un canal, réalisée par des binômes en costumes loufoques sur des tandems customisés :
Au fond ma proposition c’est de laisser tomber les jeux olympiques, qui coûtent un pognon de dingue et causent beaucoup de soucis. On pourrait les remplacer avantageusement par une version mondialisée et permanente d’un jeu télé type Intervilles / Fall Guys, où chaque pays enverrait ses jeunes gens s’affronter sur des parcours en mousse aux couleurs criardes et tomber à l’eau. Je vous assure que la planète entière serait calée devant tous les samedis soirs.
3. Meurtre au Mont Fuji
La semaine dernière, j’ai récupéré dans une boîte à livres un roman policier japonais des années 80, Meurtre au Mont Fuji. Je l’ai commencé distraitement, constatant avec joie que la scène d’ouverture se déroulait dans un train, comme dans mes polars japonais favoris. Mais quelque chose clochait un peu dans ce tableau familier : le personnage dont on suit le point de vue n’était pas japonais, mais une jeune femme américaine, qui se retrouve à passer le nouvel an avec une riche famille japonaise, au pied du Fuji. La page de garde indiquait d'ailleurs que le livre était traduit de l’anglais — j’ai pensé qu’il avait peut-être été écrit par une autrice américano-japonaise.
En rentrant chez moi, je me suis renseigné : en réalité, le livre a bien été écrit en japonais, mais il a été adapté et remanié lors de sa traduction vers l’anglais. À cette occasion, un personnage de jeune Japonaise a été transformé en jeune Américaine, sans doute en imaginant que cela aiderait les lecteurs à s’intéresser à l’histoire. C’est cette version américaine qui a été traduite en français, très fidèlement pour le coup (la version américaine est disponible en ligne ici).
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Il faut se souvenir (ou dire aux plus jeunes d’entre vous) que dans les années 80, le monde n’était pas encore parfaitement uniforme. On était tout simplement ignorant de bien des aspects de cultures étrangères qui, depuis lors, ont parfaitement intégré le mono-folklore.
Dans les versions doublées des dessins animés japonais, par exemple, les noms des personnages étaient systématiquement remplacés, et d’une manière générale, les dialogues étaient adaptés de manière fort libre — un exemple célèbre : quand Ryô Saeba propose à ses clientes de les emmener dans un love hotel, Nicky Larson se contente, dans la version française, de les inviter à manger dans un restaurant végétarien (suscitant dans les deux cas un regard interloqué de son interlocutrice). Même les séries américaines que je regardais enfant ne savaient pas trop comment parler de la fête d’Halloween ou du bal de promo dans les lycées — tout cela était encore exotique.
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Quoi qu’il en soit, dans Meurtre au Mont Fuji, ça donne des scènes proprement délirantes comme celle-ci :
J'étais très curieux de savoir ce qui se trouvait à la place de ce dialogue dans la version originale du livre, hélas je ne lis pas le japonais. J'étais prêt à laisser tomber quand j'ai vu que le livre avait été adapté en film en 1984, et que ce film était visible (sous-titré en anglais) sur Internet Archive. Évidemment je l’ai regardé, avec l'espoir que toutes mes questions trouveraient enfin des réponses.
C'eût été trop simple. Le film, en effet, est plus ambitieux qu'une adaptation directe. Il raconte l'histoire de comédiens qui montent une adaptation théâtrale du livre, et sont forcés de remarquer des similitudes troublantes entre le texte qu'ils répètent et les évènements qui leur arrivent dans "la vie réelle".
Si j'en crois cette vidéo follement bavarde mais informative, le roman de Shizuko Natsuki avait déjà été adapté pour la télévision l'année précédente de manière littérale mais un peu plate. Si le film traite l'histoire sous forme de récits enchâssés, c'est peut-être pour éviter une redite, mais surtout en raison de contraintes logistique et budgétaires — le tournage était prévu en été alors que le roman se déroule entièrement sous la neige. Le résultat, quoi qu'il en soit, est vraiment intéressant, et ajoute au récit attendu une couche de commentaire sur la place des idols dans l'industrie culturelle de l'époque. Je l'ai apprécié à la fois comme concentré de Japon 80's et comme témoin d'une époque malheureusement révolue, où adapter un livre pour le cinéma ne signifiait pas nécessairement tenter de recréer servilement chacune de ses scènes au nom de la satisfaction des fans.
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Et ce sera tout pour cette fois. Je vous laisse ranger les bancs et fermer la porte derrière vous, moi il faut que j’aille ôter ma perruque et mon maquillage.
Portez-vous bien, à bientôt.
M.
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