Bonsoir tout le monde.
Je suis ravi de vous retrouver après cette interruption de service imprévue mais manifestement nécessaire. On a beau dire, les vacances ça ne fait pas de mal.
Je souhaite la bienvenue aux nouvelles et nouveaux venu·es, arrivé·es sur la recommandation de Canard PC, prenez donc un petit jus d'orange et des bretzels. J'en profite pour annoncer que la version électronique de mes fanzines est désormais disponible à prix libre (à partir de 1€). Si jamais vous aviez vraiment très, très envie de les lire mais que le prix vous arrêtait, n'hésitez plus. Si vous préférez le luxe parfaitement décadent d'une version papier, c'est par là !
Par ailleurs, c'est officiel, je serai début septembre au Bremer Zine Festival. Je ne suis pas allé à Brême depuis plus de 25 ans donc si jamais vous avez des recommandations, je vous écoute — et si jamais vous êtes dans le coin à ce moment, faites-moi signe !
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1. Les plans séquences
Alors que beaucoup de réalisateurs se sont fait une spécialité de plans-séquences tapageurs, Steven Spielberg, lui, a fait une marque de fabrique du plan-séquence modeste, qui fait tout ce qu'il peut pour ne pas attirer l'attention sur lui. S'inspirant directement des réalisateurs de studio des années 40-50, Spielberg produit des plans-séquences incroyablement lisibles et dynamiques, si bien composées que dans nos souvenirs de spectateurs, ils ont plusieurs plans :
Dans la vidéo ci-dessus, sortie il y a bientôt 10 ans, Tony Zhou distinguait deux tendances dans le cinéma grand public d'alors : le montage hystérique à la Michael Bay / Tony Scott, avec des plans qui durent moins d'une seconde ; et les plans-séquences longs mais qui sont là pour dire quelque chose, plutôt que (seulement) pour frimer. Et l'exemple qu'il choisit pour cette seconde catégorie est une scène dont j'ai envie de vous parler depuis bien longtemps :
Si c'est la première fois que vous voyez cette scène, je vous laisse un instant pour vous remettre de vos émotions.
Bien. Et maintenant je pose la question : mais comment est-ce que ça a été filmé ? La caméra semble circuler de manière parfaitement fluide à l'intérieur d'une voiture pleine et en mouvement, sans la moindre coupe. On voit toute la voiture. Qui tient la caméra ? Où est-elle ?
La réponse a toutes ces questions dans ce micro-documentaire :
L'attaque de la voiture est le plan-séquence le plus sidérant du film, mais pas le seul. Le réalisateur, Alfonso Cuarón, les utilise pour happer le spectateur dans le film, et créer un sentiment d'urgence, un suspense presque suffoquant. À l'époque, son travail avait évidemment été très remarqué, et il avait enfoncé le clou en 2013 avec le célèbre plan-séquence qui ouvre Gravity.
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Avec près de dix ans de recul, on ne peut que constater que l'école "montage saccadé" est en nette perte de vitesse dans les gros films d'action. C'est clairement l'école "plan-séquence élaboré" qui a gagné, surtout dans les films tournés par d'anciens cascadeurs ou réalisateurs deuxième équipe — évidemment les innombrables John Wick, ou tout récemment le deuxième Extraction / Tyler Rake :
Le problème, c'est que Les Fils de l'homme serait un film intéressant même si les scènes en plan-séquence étaient tournées d'une manière plus conventionnelle. Ces scènes en font simplement un film exceptionnel. Tyler Rake 2 n'a strictement aucun intérêt en dehors du tour de force d'avoir une un plan séquence d'action de 21 minutes, tour de force qui de toute façon passera au-dessus de la tête de la moitié des spectateurs, qui seront en train de jouer à Monopoly Go! en même temps.
2. Pointe sèche, eau-forte, monotype
Il y a en ce moment à la BnF une exposition à propos de Degas et de ses expérimentations avec différentes techniques de gravure. J'espérais la voir aujourd'hui en allant travailler à la bibliothèque, sauf que je n'avais pas bien regardé : l'expo est la BnF Richelieu, pas à la grande bibliothèque. Pour me consoler, j'ai lu avec beaucoup d'intérêt ces explications simples et pédagogiques sur les différentes techniques de gravure que Degas avait employées ou détournées — j'avoue que j'aurais été bien en peine d'expliquer la différence entre eau-forte et aquatinto :
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Et à quelque chose, malheur est bon, puisque j'ai pu voir là où j'étais une expo tout à fait réjouissante sur les pastiches de presse, dont l'histoire est bien plus ancienne que je ne le pensais :
J'y ai aperçu, entre autres, des boulots de Granpamini, Celinextenso et Clémentine Mélois. Si vous êtes à Paris, allez-y, c'est gratuit et c'est chouette.
3. C'est une honte, c'est un scandale
Je ne sais même plus comment je suis tombé sur l'histoire d'Edith Clampton, une contributrice assidue au courrier des lecteurs du Bangkok Post, un journal thaïlandais anglophone, au début des années 90.
On ne sait rien d'Edith Clampton hormis ce que ses lettres permettent de reconstituer, à savoir qu'elle était riche, globalement oisive, pourvue de domestiques, et pas très intelligente.
MONSIEUR : Les excréments d'éléphants sont de plus en plus employés comme engrais pour le jardinage, mais la collecte n'en est pas aisée. La semaine dernière, un éléphant s'est soulagé dans notre soi, causant une scène. Ma bonne, Khun Hazel, ramassait les déjections avec une pelle et un seau, une étrangère avinée hurlait qu'elle avait nourri l'animal et avait droit à un retour sur son investissement, tandis que le cornac, voyant ce fumier comme une mine d'or, essayait de le vendre. L'éléphant, lui, restait calme.
Je crains que ce genre d'incident ne se reproduise encore et encore tant qu'un juriste n'indiquera pas au public qui est le propriétaire légitime de la bouse une fois qu'elle atterrit dans la rue.
Edith Clampton (Mrs)
MONSIEUR : Mes dents ont pris une teinte verdâtre et il y a suffisamment de tartre entre elles pour y faire pousser des patates, tout cela par la faute des Philippines.
Ces deux derniers mois, je me suis plusieurs fois rendue dans ce pays, et les coupures de courant, qui durent 3 à 7 heures par jour, n'ont rien de drôle. Chaque fois que j'allais me brosser les dents, l'électricité était coupée, et il m'était impossible d'utiliser ma brosse à dents électrique.
J'invite les gens prospères utilisant une brosse à dents électrique à ne pas se rendre aux Philippines, à moins d'emporter un groupe électrogène.
Edith Clampton (Mrs)
[The Legendary Edith Clampton (Mrs)]
Évidemment, Edith Clampton n'existait pas et ses lettres étaient satiriques, mais cela n'empêchait pas un certain nombre de lecteurs de les prendre au sérieux, et d'écrire à leur tour, tout à fait indignés. La seconde lettre ci-dessus a apparemment provoqué l'ire de la communauté philippine de Thaïlande.
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Au Royaume-Uni, l'archétype du vieux réactionnaire scandalisé qui écrit aux journaux ou à la BBC pour se plaindre de la décadence générale du monde moderne s'appelle "Disgusted of Tunbridge Wells".
Personne ne sait exactement comment est né ce personnage mythique. Royal Tunbridge Wells est une petite ville prospère du Kent, à 50 km au sud-est de Londres, dont le nom sert depuis près de 100 ans à évoquer le conformisme étriqué de la vieille Angleterre (un peu comme Poitiers évoque le Futuroscope), si bien qu'il paraît naturel que ses habitants écrivent des missives outrées à la rédaction, j'imagine.
Depuis 2009, l'office de tourisme de Tunbridge Wells tente de renverser le stéréotype en vendant des t-shirts et des mugs "Delighted of Tunbridge Wells", mais ça ne marche pas trop — je veux dire, je n'imaginerai pas acheter un t-shirt "Y a pas que le Futuroscope à Poitiers, y a aussi des églises romanes".
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Et ce sera tout pour cette fois.
Portez-vous bien.
M.