Bonsoir tout le monde.

Le semaine dernière, je vous avais préparé une belle newsletter sur des sujets légers, estivaux, pratiquement frivoles. Au moment où je m'apprêtais à la mettre en page, mon brouillon a littéralement disparu. Pfuit. Plus rien, dossier vide. Je vous jure monsieur, c’est la clé USB qui a mangé ma copie. Voilà plusieurs mois que je vous bassine avec l’informatique de l’ancien temps et c’est typiquement le genre de leçon que les conforts du cloud m’avaient fait oublier — évidemment j’avais rien sauvegardé.

Avec une semaine pour faire mon deuil, j'ai fini par me dire que c'était bien tombé, d’une certaine manière, parce que ça me donne l’occasion de vous faire une livraison un peu plus en phase avec mes préoccupations actuelles.

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Avant toute chose : ça y est, enfin, le nouveau Climax est :

Toujours une DA de classe internationale

Les articles s'annoncent excellents. Pour ma part, j’y parle notamment de l’histoire du bruit en ville et de la grande zumba des plans d’adaptation au changement climatique — que du fun, je vous jure :

Climax
Climax, le fanzine plus chaud que le climat. Numéro 5.

Bref : abonnez-vous, réabonnez-vous, offrez-le à vos parents et à ami.e.s, c’est plus que jamais le moment de soutenir la presse indépendante.

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Allez on y va.

1. Machines en flammes

Le 6 juin dernier, j'ai assisté à une projection du docu Machines in Flames de Thomas Dekeyser & Andrew Culp, organisée par l'Outdoor Computer Club chez Voix Machine, à Fontenay-sous-Bois.

J'étais très curieux de voir le film parce qu'il promettait de revenir sur une histoire dont j'avais entendu parler mais dont je ne savais finalement pas grand chose.

"Le CLODO parle" — Terminal 19/84

Pour vous situer : le CLODO ("Comité liquidant ou détournant les ordinateurs") était un groupe de saboteurs actif en France au tout début des années 1980. La presse l'a d'abord présenté comme un sous-groupe d'Action Directe, mais le CLODO s’en distinguait assez nettement, tant par sa rhétorique souvent rigolarde que par une violence uniquement dirigée contre les machines.

Dans un communiqué adressé à Libération, le CLODO se présente ainsi : « Nous sommes des travailleurs de l’informatique, bien placés par conséquent pour connaître les dangers actuels et futurs de l’informatique et de la télématique. L’ordinateur est l’outil préféré des dominants. Il sert à exploiter, à ficher, à contrôler, à réprimer. Demain la télématique instaurera 1984, après-demain l’homme programmé, l’homme machine. » Le groupe revendique quatre autres sabotages explosifs ou incendiaires en 1980, toujours contre des sociétés informatiques.
La balade incendiaire du Clodo
Le Comité pour la liquidation ou la destruction des ordinateurs (Clodo) n’a sévi que quelques années dans la région toulousaine. Mais il a marqué (…)

Entre 1980 et 1983, le CLODO a revendiqué sept attaques contre diverses entreprise d'informatique, à Toulouse puis à Paris, surtout des sous-traitants militaires.

Chaque fois, les dégâts causés étaient très importants, avec des moyens assez limités : en détruisant prioritairement les supports de stockage et les sauvegardes, les membres du CLODO frappaient exactement là où ça fait mal. Ces "travailleurs de l'informatique" disposaient manifestement d’une certaine expertise technique — mais on ne saura jamais exactement, parce qu’aucun d’entre eux n’a jamais été arrêté, ni n’est sorti de l’anonymat.

On peut tout de même lire cette auto-interview envoyée à la revue Terminal 19/84, qui est pleine de moments qui n'ont guère vieillis :

Il faut bien que la vérité de cette informatisation soit parfois démasquée, qu'il soit dit qu'un ordinateur n'est qu'un tas de ferraille qui ne sert qu'à ce à quoi on veut qu'il serve, que dans notre monde il n'est qu'un outil de plus, particulièrement performant, au service des dominants. C'est essentiellement à la destination de l'outil que nous nous en prenons : mise en fiches, surveillance par badges et cartes, instrument de profit maximalisé pour les patrons et de paupérisation accélérée pour les rejetés. (...) Par nos actions, nous avons voulu souligner, d'une part, la nature matérielle de l'outil informatique, et d'autre part, la vocation dominatrice qui lui est conférée.
la balade du CLODO 🖥️ – A——D——P

Extrait du premier PDF, en haut de page

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Si ça vous dit, vous pouvez regarder vous aussi le film que j’ai vu :

Trigger warning : Derrida, et vous avez ma bénédiction pour zapper les plans (ominous music continues) sur la nuit toulousaine. Il y a une joie toujours renouvelée à entendre la narratrice s'appliquer à prononcer le mot CLODO avec une grande délicatesse.

Le film soulève plusieurs points intéressants : d’abord, le CLODO n'est pas strictement luddite — ses membres ne se plaignent pas que les machines viendraient remplacer une surveillance ou une collecte de données effectuée à la main par une police politique à l'ancienne, ils mettent en garde contre la nature fondamentalement liberticide de l’informatisation. Je crois que c’est la proposition qui semble la plus radicale, vue d’aujourd’hui, la plus incompréhensible presque : l’idée qu’améliorer l’efficience des processus n’est pas souhaitable.

L’autre point intéressant est que les autorités et les dirigeants d'entreprises informatiques ont immédiatement pris au sérieux la menace représentée par des informaticiens saboteurs. Quarante ans plus tard, la sécurité des installations informatiques commerciales est draconienne (il faut passer sur une balance à l’entrée et à la sortie d’un data center), et la réplication des données a progressé au point que même un évènement spectaculairement catastrophique, comme l'incendie d’un data center d’OVH en 2021, ne mène plus qu’à quelques heures d’indisponibilité pour les applications commerciales, quelques jours dans le pire des cas. Les seuls qui perdent leurs données dans la bataille sont les particuliers (qui n'ont généralement pas de plan de reprise après sinistre).

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À vrai dire, tout est si bien verrouillé aujourd'hui que les héritiers revendiqués du CLODO en sont réduits à foutre le feu à de malheureux fablabs, puis à se gargariser de leur potentiel subversif, alors qu'il ne s'agit que d'une pantomime confuse et, pour tout dire, assez grotesque — le CLODO voyait l'ordinateur comme un outil qu'il fallait détruire pour révéler la façon dont il était employé à des fins de contrôle et de domination ; les incendiaires du fablab de Grenoble enragent seulement de voir "la technologie" présentée sous un jour positif et vont se défouler un bon coup, histoire de donner raison à leurs ennemis déclarés.

2. Les saboteurs officiels

Parmi les articles que j’ai pondus pour le nouveau Climax, je suis particulièrement content de celui qui parle des plans locaux / régionaux / nationaux d’adaptation au changement climatique — même si faire les recherches préalables m’a souvent plongé dans une rage folle.

Pour prendre un exemple très précis : au bout de 15 ans de plans d'adaptation au changement climatique, on n'a toujours pas réussi à faire admettre aux gros agriculteurs qu'il allait falloir réduire les quantités d'eau qu'ils pompent pour irriguer leurs champs. C'est pour ça qu'on construit des bassines, y compris dans des régions qui n'ont pas de déficit de précipitations mais se retrouvent tout de même chaque été avec des mesures de restrictions sur la consommation d'eau.

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Ce qui ressort surtout des longues heures que j'ai passées à lire des pages et des pages de plans, de rapports, de livrets et de plaquettes, c'est qu'on va bientôt être prêts à agir. On a rudement bien mis en place les structures nécessaires, on a lancé les missions d'information, vraiment on est parés. Attention, c'est pour bientôt.

Mon exemple favori : le "Varenne de l'eau agricole" (sic), en 2022. Je vous livre directement les conclusions du délégué interministériel en charge du suivi du dossier, début 2023, qui valent leur pesant de cacahuètes :

Trois orientations sont à retenir :
- tout d’abord, les actions doivent être menées en respectant le cadre du Varenne de l’eau sans vouloir en faire ni plus ni moins ;
- ensuite, il est nécessaire d’accélérer la mise en œuvre des mesures pour avoir des résultats concrets en 2023 ;
- enfin, les parties prenantes ont à travers la délégation un interlocuteur dédié pour faire remonter les difficultés rencontrées et solliciter, si nécessaire, un accompagnement dans la gestion de leurs actions. (...)
La thématique 2 préconise l’adaptation de l’agriculture au changement climatique qui, suite aux épisodes estivaux de sécheresse, doit être accélérée. Dans le cadre des plans des filières, cet engagement se matérialise par une stratégie d’adaptation renforcée. Si l’exercice est abordé différemment selon les filières, il n’empêche que toutes ont entamé la démarche et adopté une feuille de route dont la déclinaison en plan d’action est prévue d’ici 2025.
Varenne de l’eau : entretien avec le préfet Frédéric Veau, délégué interministériel
Depuis le 28 avril 2022, le préfet Frédéric Veau est le délégué interministériel en charge du suivi des conclusions du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique. Huit mois après sa nomination, il nous présente son équipe et fait un premier point sur la mise œuvre de la feuille de route issue des travaux du Varenne de l’eau.

Spoiler, y a pas eu de résultats concrets en 2023 (juste quelques histoires anecdotiques), mais je garde vraiment tous mes espoirs pour la "feuille de route dont la déclinaison en plan d’action est prévue d’ici 2025", lol.

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Ce que tout cela m'évoque, c'est le célèbre manuel de sabotage écrit en 1944 par le précurseur la CIA, l'Office of Strategic Services (OSS), pour que les gens foutent la merde dans les pays occupés par les Nazis :

Read the CIA’s Simple Sabotage Field Manual: A Timeless Guide to Subverting Any Organization with “Purposeful Stupidity” (1944)
I’ve always admired people who can successfully navigate what I refer to as “Kafka’s Castle,” a term of dread for the many government and corporate agencies that have an inordinate amount of power over our permanent records, and that seem as inscrutable and chillingly absurd as the labyrinth the character K navigates in Kafka’s last allegorical novel.

La section 11, en particulier, est souvent citée pour son invraisemblable pertinence — dans le cas qui nous occupe, je reconnais notamment :

(5) Chipotez sur la formulation des communications, des comptes-rendus, des résolutions. 
(6) Discutez à nouveau de questions résolues lors de la réunion précédente, et tentez de remettre en cause la décision qui avait alors été prise.
(7) Conseillez la "prudence". Soyez "raisonnable" et exhortez vos collègues à en faire autant, et à se garder de prendre des décisions hâtives qui pourraient leur être reprochées ultérieurement.
(8) Inquiétez-vous de savoir si chaque décision est bien appropriée — demandez si ce qui est proposé fait bien partie des prérogatives du groupe ou s'il existe un conflit avec un échelon supérieur (...)
(6) Quand vous répartissez les tâches, occupez-vous toujours prioritairement des tâches sans importance.

3. Le club des gens qui détestent le bruit

Pour finir, encore une histoire coupée au montage d’un papier du dernier Climax.

Les bouchons d'oreille Ohropax, lancés en 1907

Dans les premières années du XXe siècle, le philosophe allemand Theodor Lessing avait fondé à Hanovre une ligue de lutte contre le bruit urbain — il se plaignait beaucoup du raffut causé par le tramway, les pianistes répétant chez eux, les gens battant leur tapis, etc. Il craignait que le bruit ne rende les gens malades et fous (il avait raison) et estimait que la technologie qui envahissait les villes, sous la forme d'usines et de véhicules à moteur, devrait plutôt aspirer à faire moins de bruit si elle voulait vraiment être un progrès. Son association rencontra un certain succès d’estime auprès d’intellectuels, mais n’est guère parvenue à ralentir la marche du progrès.

À peu près dans les mêmes années, à New York City, ce sont les cornes de brume des bateliers qui agaçaient au plus haut point Julia Barnett Rice. Contrairement au modeste Theodor Lessing, Mrs. Rice était l’épouse d’un patron de presse, et elle avait donc toute latitude pour diffuser ses récriminations. Elle aussi séduisit quelques intellectuels et bourgeois soucieux de silence, mais se heurta globalement au fait que les marins faisaient du bruit non parce qu'ils aimaient ça, mais parce qu'ils devaient accomplir leurs tâches (chose qu'elle découvrit en les interrogeant mais vit comme la preuve de leur incompétence). Et après plusieurs années d'efforts :

En dernier recours, Mrs. Rice réussit. Lors d'un congrès réunissant environ 10 000 membres du secteur des transports, l'American Association of Masters, Mates, and Pilots prit une résolution visant à mettre fin à l'usage "arbitraire, et surtout bruyant, des signaux". La loi fut adopté au niveau fédéral en 1907 via le Bennet Act, la première législation contre le bruit signée par le Congrès américain. (...)
Tout au long de sa croisade, Mrs. Rice avait présenté les bateliers comme des ennemis personnels plutôt que comme des alliés potentiels. Sa quête de silence était morale ; de son point de vue, les bateliers lui avaient volé sa tranquillité. Rétrospectivement, elle nous semble vindicative et élitiste. Mais malheureusement, son approche belliqueuse servit de modèle aux campagnes de lutte contre le bruit qui suivirent.

[City Noise Might Be Making You Sick]

Une des conséquences les plus directes du combat de Julia Rice contre le bruit fut la création de "zones de silence" autour des hôpitaux et des écoles. À plus long terme, c'est la même idée qui sert aujourd'hui de modèle au centre piétonnier — une enclave où le calme devient un luxe réservé à quelques uns.

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Theodor Lessing, lui, a connu un destin moins gai :

En 1925, Lessing écrivit dans le Prager Abendblatt qu'Hindenbrug était “un symbole, un point d'interrogation, un zéro. On pourrait dire : mieux vaut zéro que Néron. Malheureusement, l'histoire prouve que chaque zéro cache toujours un futur Néron.”
L'article était aussi prophétique que scandaleux : “Pour les antidémocraties allemands, Hindenburg jouait le rôle du Kaiser, donc se moquer même un peu de lui relevait du crime de lèse-majesté,” explique Marwedel.
Le scandale qui s'ensuivit conduisit au boycott des cours de Lessing, à son renvoi de l'université technique de Hanovre, et finalement à sa mort en exil : le 30 août 1933, trois assassins nazis des Sudètes l'abattirent à travers la fenêtre de son bureau à Marienbad, faisant de lui la première victime connue du régime nazi de la république Tchèque.
Wit and wisdom of Germany’s anti-noise philosopher revealed to new readers
Theodor Lessing’s newly collected early writings shine light on writer who later prophesied climate change

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Voilà.

Même s’il y a eu quelques éclaboussures, à force de bouillonnement, j’ai fait de mon mieux pour vous divertir sans vous bassiner avec mes préoccupations politiques.

Si ça vous intéresse néanmoins, vous pouvez lire ci-dessous la partie abonné.e.s (en accès libre cette fois), parce que j’avais besoin de m’épancher.

Quoi qu'il en soit : portez-vous bien, faites attention à vous, à bientôt.

M.

Bonus track – Que faire ?

Je peine à oublier que la carte de France ressemble à ça :

Et c’est très bien que ça s’organise pour limiter la casse aux élections qui viennent, mieux vaut tard que jamais, hein, mais d’une part ça ne suffira pas, et d’autre part, c’est précisément comme ça qu’on en est arrivés là, à faire notre sursaut républicain rituel tous les cinq ans comme on appuie sur snooze, pour retarder le moment de nous réveiller et de faire face au fascisme.

Le résultat des élections qui vient, je veux dire le degré auquel il sera catastrophique, ne change pas l’enjeu réel : y a du boulot pour sortir du fond du seau. Tout ce qui était déjà merdique et détestable en France, le racisme omniprésent, l’affairisme, les cocardes et les drapeaux, la police en roue libre, le confusionnisme, la peur, le chacun chez soi, les petites magouilles entre notables, la déférence face à l’argent — manifestement, c’est ça qu’une large part de nos concitoyens réclame.

Je crois que c’est important de commencer par intégrer l’idée que le chemin sera long et qu’on est partis pour en chier sévèrement — profs, chômeurs, artistes, journalistes, universitaires, bibliothécaires, fonctionnaires, écolos, gauchistes, militants des droits humains et du logement, handis, féministes, racisés, LGBTQIA*, vegans, décoloniaux, zadistes, alliés divers, tous, je vous dis — la seule chose qui mette tout le monde d’accord dans ce pays, c’est de nous taper dessus, en général métaphoriquement, mais de plus en plus souvent littéralement. Et vous faites peut-être partie d’une des catégories ci-dessus, mais pensez n’avoir rien de commun avec les autres — malheureusement, ce n’est pas vous qui décidez si vous appartenez ou non au péril woke / islamo-gauchiste / extrémiste / etc. Une des caractéristiques du fascisme, c’est une grande inclusivité quand il s’agit de désigner ses ennemis.

Vous pouvez me sortir une autre carte de France si vous voulez, celle-ci ou une autre :

Tout ce que j’y vois, c’est que 40 années de décentralisation sont seulement parvenues à reproduire la dichotomie Paris-banlieue dans toutes les métropoles de France, en généralisant un fossé hypercentre / périphérie pavillonnaire. La cohésion sociale des territoires, comme on dit de nos jours, se fait partout contre les urbains, accusés de tous les maux (voir plus haut) par une France de gens enfermés dans leur pavillon, avec un SUV par parent et un trampoline par enfant, une France de voisins vigilants terrorisés par les individus louches (pauvres), une France de gens criblés de dettes et très exposés à la hausse des prix de l’énergie, qui ont le sentiment (pas injustifié) de s’être bien fait avoir, mais refusent d’imaginer désirer autre chose que le maintien des acquis — le SUV, le trampoline, l’entre-soi, le silence seulement troublé par le bruit des tondeuses.

Et foncièrement, qu’est-ce qu’on a à proposer comme modèle de société alternatif, en ville ? Des appartements minuscules aux mains d’une frange de multipropriétaires, ou pour les plus chanceux des résidences ultra-sécurisées avec balcon et locker Amazon intégré, des boulots débiles qui rendent tout le monde cinglé, une culture subventionnée qui croupit en vase clos, des pseudo-squats avec vigiles à l’entrée et la pinte à 8€, des burgers de merde livrés par des sans-papiers exploités, la police qui fait des rondes permanentes pour harceler les gars trop pauvres pour avoir le droit d’exister dans le peu qui reste de l’espace public.

Clairement, on a tous du chemin à faire pour reconstruire quelque chose de vivable.

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Je suis souvent frappé de constater que mes différentes activités sont rémunérées de manière inversement proportionnelle à leur utilité sociale. Quand j’étais écrivain public, c’était bénévole ; quand je traduis un truc intéressant, c’est très mal payé ; quand je traduis une formation à la méditation en pleine conscience pour des cadres d’une groupe de pharma, c’est tout de suite plus lucratif.

Si on veut sincèrement une autre société, la toute première étape est de rencontrer d’autres personnes animées de convictions suffisamment similaires, et d’apprendre à se connaître pour pouvoir compter les uns sur les autres.

Or j’ai l’impression que beaucoup d’entre nous n’imaginons plus la politique autrement que comme le fait d’être fan de quelque chose ou supporter de foot — il faudrait passer sa semaine à suivre les apparitions télé de ses joueurs préférés en guettant le geste technique, et puis aller clasher les ultras de l’équipe d’en face sur Twitter ou que sais-je.

Enfin, « supporter de foot » c’est peut-être pas la bonne métaphore, parce qu’il y en a plein qui aiment aussi jouer au foot, alors que j’ai l’impression que la fan culture en politique (au sens large) a plutôt tendance à séparer le monde entre les « militants » et les autres, qui ne veulent rien avoir à faire avec ça. Disons, pour revenir à ma métaphore bancale, qu’on aurait grand besoin de redécouvrir qu’on peut aussi jouer au foot modestement, à côté de chez soi, avec les gens du quartier. C’est intéressant de faire des trucs autour de chez soi parce que ça oblige à composer avec des personnes avec qui on n’est pas complètement d’accord, qui nous semblent parfois dire des sottises, et qui en ont sans doute autant à notre service, mais avec qui on partage tout de même quelque chose.

Et même en amateur, on peut aussi jouer au foot sérieusement, avec un réel enjeu. Mais c’est pas obligé d’être un chemin de croix non plus. On n’est pas obligés d’aller tous lacérer les bassines et foutre le feu aux ordinateurs. On n’est même pas obligés de prendre sa carte où que ce soit. Je vous certifie que partout en France, il y a des associations et des collectifs qui font des trucs bien, et qui ne cracheraient pas sur un coup de main, même occasionnel. C’est le moyen de faire des trucs immédiatement utiles pour des gens qui en ont grand besoin — exilés, exclus, paumés, à la ramasse d’une manière ou d’une autre.

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Voilà, c'est tout pour moi, je laisse l'antenne à des gens plus efficaces.

Portez-vous bien.

M.