Bonsoir tout le monde et bienvenue aux nouveaux.

Vous verrez on rigole follement ici. N’hésitez pas à ramener vos amis, c’est la fête. On n’a même plus envie de sortir tellement on est bien. Ne faites pas attention aux bouteilles vides, c’est rien, enjambez, promis je vais ranger — mais d’abord, quelques trucs à lire.

1. Aborigènes de jardin

Au hasard d’une promenade sur Wikipédia, j’ai appris que les Australiens ne décorent pas leur pelouse avec des nains de jardin, mais bien avec des Aborigènes en ciment.

Enfin, c’était surtout le cas jusque dans les années 70. Aujourd’hui, heureusement, ça ne se fait plus, et c’est en grande partie grâce à Kingswood Country, une sitcom du début des années 80. Dans la série, le personnage du père de famille est un imbécile raciste obsédé par sa voiture et son Aborigène de jardin qu’il appelle “Neville”, du nom de Neville Bonner, le premier Aborigène élu au parlement fédéral australien. La caricature appuyait tellement bien là où ça fait mal que toute l’Australie a promptement rangé ses ornements de pelouse au garage.

Mais évidemment, il se trouve des gens pour crier au politiquement correct. En 2008, il y a eu une offensive pour amorcer une réhabilitation : ce billet d’humeur réclamait le retour des “Neville” pour faire chier les bien-pensants, tandis que cet article alambiqué reconnaissait que les Aborigènes en ciment étaient “probablement racistes”, mais y voyait surtout le symbole d’une époque “plus innocente”, et appelait les Australiens à se les “réapproprier en tant qu’hommage respectueux aux premiers habitants du pays”.

Sur Gumtree, qui est apparemment l’équivalent australien du bon coin, j’ai trouvé deux annonces correspondant bien aux deux options : le type qui vend ses Aborigènes vintage en précisant que c’est une aubaine parce que ça ne se fait plus (180$) ; et les artisans qui, avec des contorsions merveilleusement post-modernes, précisent bien qu’ils sont respectueux des premiers habitants du pays et vendent donc des statuts d’Australiens indigènes, et certainement pas d’Aborigènes (95$) :

Nous fabriquons ces statues dans le respect des peuples indigènes de notre pays, et nous espérons que les gens les achèteront en signe de respect pour ces peuples remarquables et la formidable culture qu’ils partagent avec tous les Australiens.

2. Remakes

J’ai vu la semaine dernière un film allemand de 2019 intitulé Das perfekte Geheimnis (“Le secret parfait”) :

Même si vous ne parlez pas un mot d’allemand, vous avez sûrement compris le principe, surtout si vous avez vu Le Jeu, de Fred Cavayé, en 2017 :

Ou Intimate Strangers (완벽한 타인, littéralement “Parfaits inconnus”), de Lee Jae-gyu, en 2018 :

Ou peut-être Perfetti sconosciuti (“Parfaits inconnus”) de Paolo Genovese, sorti en 2016 :

L’histoire est toujours la même : lors d’un dîner, sept vieux amis décident de jouer à un jeu. Tout le monde pose son téléphone sur la table et chacun devra lire aux autres convives tous les messages qu’il recevra, leur faire voir les photos et écouter les conversations. Les secrets sont révélés, les couples s’engueulent, les portes claquent.

L’original c’est le film italien, qui possède la particularité d’être le film le plus remaké de l’histoire du cinéma : à ce jour, on en est à 18 versions différentes. Je n’ai vu que la version allemande (ma détermination a des limites), mais en visionnant ces diverses bande-annonces je suis sidéré du point auquel le dispositif est passé inchangé d’un pays à l’autre. Les décors choisis sont extrêmement similaires, on reconnaît immédiatement les différents personnages, et beaucoup de répliques ont apparemment été traduites telles quelles. Même l’habillage choisi (couleurs, typo) est pratiquement identique, à tel point que je me demande sincèrement s’il y avait une sorte d’obligation légale à ce que le remake soit le plus proche possible de l’original, ou si tout le monde s’est dit qu’il valait mieux ne pas changer une équipe qui gagne.

J’ai ri devant Das perfekte Geheimnis, mais au bout du compte j’ai surtout été déçu par un discours archaïque sur les rapports de couple, les adolescents, l’homosexualité, etc., et j’en avais conclu, navré, que le cinéma populaire allemand n’avait guère progressé depuis Keinohrhasen (un énorme succès de 2007 dans lequel Til Schweiger joue Til Schweiger dans un film de Til Schweiger où toutes les femmes sont folles de Til Schweiger). Comme quoi, il vaut mieux être prudent avant de projeter des choses sur les caractères nationaux.

Autre point intéressant : je connaissais quelques acteurs de Das perfekte Geheimnis (Frederick Lau vu dans l’incroyable Victoria de mon chouchou Sebastian Schipper, Jessica Schwarz vue dans Nichts bereuen avec Daniel Brühl, Wotan Wilke Möhring dans 10000 trucs), mais les autres convives (et le réalisateur) n’étaient pas des inconnus : ils avaient déjà travaillé ensemble sur une série de comédies à succès, intitulées Fack Ju Göthe (Suck me Shakespeer à l’international, Un prof pas comme les autres en France - on a échappé de peu à German Pie).

Le pitch : une petite frappe devient prof sur un malentendu et se retrouve avec la classe à problèmes dont plus personne ne veut :

[Le film est nettement plus réussi que la bande-annonce ne le laisse penser.]

On aura donc reconnu un remake inavoué du manga GTO, un peu comme Pacific Rim pompe allègrement Evangelion, ou comme Le Mans 66, sorti l’an dernier, est manifestement une adaptation en prise de vue réelle de Cars 3.

3. Onomastique et contrepèteries

Depuis le début du confinement, je me suis replongé dans Ace Attorney (逆転裁判, à peu près “Volte-face au procès”), une série de jeux vidéo dans laquelle on incarne un avocat chargé de défendre des gens injustement accusés de meurtre. On mène l’enquête pour réunir des indices et lors du procès on procède à des contre-interrogatoires, tout ça pour démasquer le vrai coupable et faire acquitter notre client.

Ces jeux utilisent le format “visual novel” caractéristique des jeux d’aventure japonais depuis les années 1980 : une série de plans fixes sur lesquels vient se surimposer un interlocuteur, dont les paroles sont retranscrites dans une sorte de cartel.

L’ambiance de cette série est très particulière : la gravité des situations est souvent contrebalancée par le côté franchement loufoque des personnages avec qui on interagit. Et, c’est là que je voulais en venir, le burlesque passe notamment par les noms donnés aux suspects et témoins, qui sont toujours des jeux de mots plus ou moins fins. Or s’il y a bien quelque chose de difficile à traduire, ce sont les jeux de mots.

Mon japonais est vraiment rudimentaire, donc prenez ce que je vais dire avec des pincettes, mais pour ce que j’ai pu en voir, dans la version japonaise, le nom des personnages utilise souvent deux niveaux de sens : il se prononce comme un nom commun, mais il est écrit avec d’autres caractères que ceux utilisés normalement.

Par exemple, le personnage récurrent de la vieille râleuse s’appelle 大場 カオル (Ōba Kaoru) en japonais. Le nom de famille sonne comme お婆さん (“grand-mère”), et le prénom comme 香る (“odeur, sentir”).

En anglais, son nom a été traduit par Wendy Oldbag, une habile contrepèterie sur “old windbag”, qui signifie à peu près “vieux raseur”. En français elle s’appelle Flavie Eïchouette (pour “vieille chouette”), ce qui est quand même un peu moins riche. On perd quelque chose à chaque couche de traduction.

Les traducteurs ont manifestement travaillé à partir de l’anglais, et non de la version originale japonaise (par exemple Will Powers devient Gustavo Lonté en français, alors qu’en japonais son nom évoque un petit poisson séché). Il est vraisemblable que la traduction été réalisée en même temps pour toutes les langues européennes, au moment de la sortie du premier jeu sur DS, à partir de la traduction américaine. Il me semble qu’on appelle ça une interlangue ou langue pivot, et c’est souvent l’anglais, parce que traduire depuis l’anglais est le moins cher.

Je ne veux pas accabler l’équipe de traduction française, les tarifs et les délais sont notoirement pourris dans le secteur du jeu vidéo. Dans de nombreux cas, ils ont été les seuls à traduire les noms de tous les personnages, quand d’autres traductions européennes ont simplement repris les noms de la traduction américaine. Et puis ils ont été capables de quelques coups de génie, au premier rang desquels on trouve le prisonnier Terry Fawles, qui s’appelle Régis Florimet en version française.

[Régis Florimet -> Fleury-Mérogis. Chapeau bas.]

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Au départ, je m’étais replongé dans Ace Attorney pour attaquer un épisode inédit hors du Japon, intitulé 大逆転裁判  / The Great Ace Attorney, qui se passe vers 1880, au moment de l’ouverture du Japon à l’Occident, et met en scène Sherlock Holmes. L’éditeur a choisi de ne pas faire traduire le jeu, même en anglais, et c’est donc une équipe bénévole qui s’en est chargé.

En 2015, pour le 1er avril, Capcom avait sorti cette incroyable vidéo promotionnelle, qui joue sur la ressemblance entre les deux caractères 大 (grand) et 犬 (chien) pour représenter les personnages du jeu dans le style du vieux dessin animé Sherlock Holmes.

À ce jour, c’est le seul jeu de mot à base de kanji que j’ai compris de ma vie.

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Et puisque c’est sans doute la seule occasion qui me sera donnée de parler de contrepèteries en japonais dans le secteur du jeu vidéo, avant de vous quitter je ne résiste pas à vous montrer cette incroyable campagne de lancement de la console Sega Saturn :

“Sugata Sanshirō”, c’est le nom du héros de La Légende du grand judo, le premier film d’Akira Kurosawa, sorti en 1943. Là, le personnage s’appelle Segata Sanshirō, et il conclue chaque pub par un “Sega Satan Shiro!”, c’est-à-dire “Joue à la Sega Saturn !”

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Voilà.

Bonne semaine, portez-vous bien.

M.

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