Bonsoir tout le monde.

Je sais pas vous mais cette semaine j’ai pas trop le moral.

1. Les gros avions

Dans la nuit du 24 au 25 février, l’armée russe a attaqué l’aéroport d’Hostomel, en Ukraine. L’attaque a gravement endommagé le plus gros avion cargo du monde, l’Antonov An-225 Mriya (« le rêve » en ukrainien). Le groupe sino-ukrainien chargé de son exploitation, Ukroboronprom, estime qu’il faudra des années et plusieurs milliards d’euros pour le remettre en état.

En effet, l’appareil est unique en son genre. Conçu dans les années 80 pour être le plus gros porteur du monde, il est achevé très rapidement (quatre ans entre le début de la phase de conception et le premier vol), et doit officiellement servir au programme spatial russe — son arrivée au Bourget en 1989, avec la navette russe Bourane sur le dos, fait sensation — même si les applications militaires sont évidentes (plein de photos ici).

Bourane au Salon du Bourget 1989.

Pour se faire une idée de ses dimensions titanesques, on peut repenser à la scène d’Aviator où Howard Hughues / DiCaprio fait décoller le H-4 Hercules, un des rares avions de l’histoire de l’aéronautique à avoir des dimensions comparables au Mriya, et lui aussi construit en un seul exemplaire.

Le H-4 Hercules comparé à d'autres avions

Avec la chute de l’URSS, le programme de navette spatiale est abandonné. L’An-225 reste une fierté nationale pour l’Ukraine, où il a été construit et demeure. Dans les années qui suivent, cet appareil conçu à des fins militaires se réinvente dans le transport civil, notamment d’aide humanitaire — la France a par exemple affrété l’An-225 Mriya pour envoyer du matériel au Japon après le tsunami de 2011. Plus récemment, il a servi à transporter nombre de masques et équipements de protection vers des pays occidentaux au début de la pandémie de covid.

Un second exemplaire d’An-225, jamais achevé, végète dans un hangar voisin depuis trente ans, peut-être qu’un jour il pourra servir à réparer le premier.

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Comme beaucoup de choses ces dernières années, l’émerveillement qu’on peut légitimement ressentir à voir un appareil gigantesque s’élever dans les airs s’est empreint d’une certaine amertume. J’adore voir les images des “belugas” utilisés par Airbus pour transporter des pièces de fuselage d’un site à l’autre, et dans le même temps je ne peux pas m’empêcher de penser que le développement continu du transport aérien est une absurdité.

On se souvient de la tempête médiatique causée par la décision de la maire de Poitiers, Léonore Moncond'huy, de baisser les subventions à l’aéroclub de la ville, en 2021. Elle avait été accusée de “briser les rêves des enfants”. De quels rêves parle-t-on ?

La terrasse d’Orly dans La Jetée

L’imaginaire convoqué, c’est celui des boomers nostalgiques d’une modernité triomphante et violemment technologique, dont le nœud paraît être la terrasse d’Orly où ils allaient déjeuner avec leur grand-mère pour voir décoller les longs-courriers et, peut-être, apercevoir les jet-setters en transit.

La terrasse d’Orly est fermée au public depuis 1975, après un attentat à la roquette contre un avion israélien, donc je crois qu’on peut dire que c’est un cadre de référence qui commence à dater un peu.

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La semaine dernière j’ai revu Le vent se lève d’Hayao Miyazaki.

Je suis hanté par les dernières images du film, avec son ingénieur si doux et rêveur qui se promène au milieu d’un champ de carcasses calcinées, et son mentor imaginaire qui lui demande si ça valait bien la peine de consacrer sa vie à inventer un avion de chasse parfait.

2. La querelle des archers

Ca ne m’avait jamais frappé parce que je ne connais rien au tir à l’arc, mais la manière dont Link tire dans Zelda - Breath of the Wild agace les archers — la position inversée de ses doigts est apparemment loin d’être optimale, comme l’explique sur TikTok cette prof de tir :

https://www.tiktok.com/@ridgelinemountedarchers/video/7056916725446708526
Comme je l’ai expliqué dans ma vidéo suivante, si vous tirez une flèche de cette manière, votre main va tordre la corde, et dévier la flèche vers un côté (donc ce n’est peut-être pas idéal si vous essayez de toucher un Bokoblin de loin)

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À l’origine, j’étais tombé sur cette controverse via un article de Polygon, et j’ai encore appris des trucs dans les commentaires (comme quoi tout arrive) :

C’est vrai qu’en général les archers ne tirent pas de cette manière, mais c’est une façon de tirer plus vite pour le trick shooting. Les doigts tendent effectivement à dévier la flèche, comme le dit l’archère sur TikTok, mais Link compense en inclinant son arc, et la gravité aide donc à maintenir la trajectoire de sa flèche. Voici une vidéo avec une archère qui montre ce type de tir :

C’est intéressant parce que ça veut dire que si Nintendo a sans doute choisi de faire tirer Link ainsi parce que ça avait l’air cool, la représentation n’est pas totalement détachée du réel. Par contre, zéro pointé sur le réalisme de l’entretien des arcs :

Ce que je trouve surtout ridicule dans BOTW, c’est que si on tire des flèches ça endommage l’arc, alors que si on tire sans flèche, l’arc ne perd pas en durabilité. C’est l’inverse de ce qui se produit en réalité.

3. Les animaux musicaux

En vitesse parce que je suis cramé, je vous propose deux petites histoires de rois et de leurs animaux musicaux. J’ai découvert la première grâce au podcast Stuff the British Stole :

“Beaucoup de musées utilisent l’expression ‘origine disputée’ pour éviter de parler de ce qui est vraiment disputé, à savoir que neuf fois sur dix, l’objet a été volé dans des circonstances très violentes ou est issu du pillage qui a suivi un conflit”, affirme Alice Procter.

Le tigre est un de ces objets. On l’appelle le Tigre de Tipu. Aujourd’hui il repose, en plein repas, dans une vitrinee du Victoria and Albert Museum à Londres. Mais il appartenait autrefois à un homme appelé Tipu Sultan — le souverain d’un royaume du sud de l’Inde, au XVIIIe siècle.

[The tiger king and the stuff the British stole]

Le tigre de Tipu Sultan est un automate : quand on tourne la manivelle, il dévore le soldat anglais, tout en rugissant grâce à un petit orgue dissimulé à l’intérieur. Ce qui est intéressant, c’est que si le Tigre a été sculpté en Inde, le mécanisme est de conception européenne — Bonaparte s’était allié à Tipu pour contrer la conquête anglaise de l’Inde, envoyant des conseillers militaires et lui promettant des soldats (ce qui précipita finalement la chute du malheureux Tipu).

Un jour je ferai un sujet sur les petits soucis de restitution des musées occidentaux, mais ce sera pour une autre fois. En attendant, vous pouvez lire toute l’histoire du tigre de Tipu et voir quantité de jolies photos ici.

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Et pour finir, je vous propose cette anecdote exhumée par le systématiquement passionnant @Maitre_Poulard :

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Et ce sera tout pour cette fois. Si vous en voulez encore, j’ai écrit une petite histoire pour l’excellente newsletter Climax, et le prochain zine ne devrait pas trop tarder.

En attendant, faites de votre mieux pour traverser l’époque, malgré la boue jusqu’aux genoux.

Portez-vous bien.

M.