Bonsoir tout le monde.
Cette semaine c’est long, mais j’imagine que vous aussi, vous avez du temps devant vous en ce moment.
1. Instruments d’écriture
Comme un peu tout le monde depuis 20 ans, j’ai des difficultés à rester concentré sur mes projets d’écriture quand je suis sur un ordinateur (« C'est comme taper un roman sur une machine à écrire qui distribue de la pornographie. Bonne chance. », disait Kirby Ferguson).
Spontanément, on a envie de faire un geste radical et de revenir à la machine à écrire. C’est romantique, mais pas tenable : il serait idiot de se priver de tout le confort de l’informatique. Alors il faut se résoudre à explorer le spectre des fonctionnalités offertes à différents stades de l’histoire de l’informatique pour trouver le bon instrument : il faut un clavier confortable avec une disposition standard, des dimensions raisonnables, une longue autonomie, la possibilité de récupérer le texte tapé sans trop de difficulté.
AlphaSmart
Pour l’usage que j’envisage, les Américains ne jurent que par des machines hideuses appelées AlphaSmart (ci-dessus, le modèle Neo), développées au début des années 2000 pour le marché de l’enseignement : il s’agissait de donner aux élèves de quoi noter leurs cours. Cette catégorie de produits n’a pas survécu à l’avènement des netbooks, mais elle a aujourd’hui de nombreux fans. Le forum des utilisateurs d’Alphasmart est le plus complet sur la question des instruments d’écriture, et j’y ai appris des tonnes de choses.
Sur le papier, l’AlphaSmart est parfaite pour moi : pas chère, simple et efficace. Le seul problème c’est que le clavier est en QWERTY, et qu’il n’y a pas moyen de modifier le mappage des touches. Les AlphaSmarts ont apparemment été commercialisés en France à destination des handicapés. Hélas, pas moyen de mettre la main sur une version française, dont j'en viens à me demander si elles ont réellement été vendues. Et de toute façon, le prix est sans doute prohibitif, comme tout ce qui est vendu pour les handicapés.
Il y a eu beaucoup d’autres machines similaires, qui seraient parfaites pour mon usage et dont certaines sont très sexy, mais aucune n’est équipée d’un clavier français — et je ne vais pas commencer à acheter du hardware dédié à une tâche précise et qui nécessiterait que je m'adapte à lui.
Pomera
La marque japonaise Pomera crée des appareils dédiés à la prise de notes. L'expression la plus parfaite de ce que je cherche est peut-être le Pomera DM20 : il y a un écran e-ink pour le confort des yeux, et en plus il se replie. J’ai envie de battre des mains rien qu’à le regarder. Hélas, Pomera est une marque japonaise et ses produits sont donc (a) hors de prix et (b) guère vendus hors du Japon. Tant pis.
FreeWrite
On me fera peut-être remarquer que la machine que je cherche existe, ça s'appelle une FreeWrite :
Écran e-ink, longue batterie, clavier mécanique configurable, synchronisation avec Dropbox, c’est la totale.
Alors ? Alors croyez bien que je me suis posé la question, mais j’ai plusieurs soucis. D’abord, si j’ai bien compris, soit on choisit la version qui pèse une tonne avec un clavier français, soit on a la version un peu plus portable mais avec un clavier américain. Ensuite, c'est moche et ridicule. Enfin, ça coûte autour de 600€.
(Il n'est pas impossible que tout le fric et le temps que j'ai perdus à la recherche de l'instrument ultime soient équivalents à ce que m'aurait coûté l'achat d'une FreeWrite. C'est comme ça.)
Psion MX
Et finalement, j’utilise quoi ?
J’ai tapé le premier brouillon de cette lettre sur un Ericsson MC218, qui est un clone de Psion 5MX, un organiseur datant de 1999. Il est très beau, il a un clavier AZERTY quasi complet, il tient des semaines sur deux piles, l'écran est rétro-éclairé si nécessaire. Le grand âge de l'appareil interdit de le connecter à internet, et c'est très bien comme ça. J'enregistre mes fichiers sur la carte mémoire, et ils sont donc relativement faciles à récupérer pour l'étape relecture. À l'heure actuelle, je n'ai pas trouvé mieux pour les premiers jets.
Ma seule inquiétude est la nappe de connexion de l'écran, qui est fragile au point qu'on peut considérer qu'il s'agit d'une erreur de conception. Au bout d'un certain nombre de milliers d'ouvertures et de fermetures, elle se fend. Des lignes apparaissent alors sur l'écran, et au bout d'un moment plus rien. La seule solution est de remplacer la nappe. Vu le grand âge des Psion, il devient de plus en plus probable que leur nappe lâche. Il y a encore suffisamment de fans pour créer un marché de la construction de nappes neuves (les nouvelles sont même plus résistantes que celles d'origine), mais je ne sais pas combien de temps ça durera. En plus la réparation est hyper tendue donc mieux vaut la déléguer à un technicien qualifié, tant qu'on en trouve.
Pour l'instant j'ai acheté une nappe renforcée, et je prie pour que mon Psion tienne le plus longtemps possible.
Claviers pliants
J'ai aussi une autre vieillerie, un clavier pliant iGo Stowaway. Il est à peine plus récent que le Psion (2003 je crois). J’ai acheté le mien vers 2011, à une époque où ils étaient déjà devenus rares. Il fonctionne parfaitement avec mon téléphone et ma tablette, et ce serait mon truc favori si j'étais mieux à même de me concentrer quand je suis sur un appareil connecté. J'ai essayé d'autres claviers pliants plus récents ou plus étendus (avec des touches de fonctions qui me manquent parfois en VNC), mais aucun n'est moitié aussi confortable que le iGo. Je crois que c'est un des meilleurs achats de ma vie, et je serai très malheureux quand il sera foutu.
J'ai aussi envisagé un temps d'acheter une liseuse Android et d'y connecter mon clavier pliant en Bluetooth, pour éviter la fatigue visuelle, mais d'une part c'est très cher, et d'autre part utiliser des liseuses sous Android comme des tablettes réduit apparemment leur autonomie jusqu'au niveau d'une tablette normale, c'est à dire 6 à 8 heures. À ce stade, autant utiliser ce que j'ai déjà.
Globalement, en l'absence d'un appareil type Pomera avec clavier AZERTY ou d'une baisse de prix drastique du FreeWrite, je me contenterai de ce que j'ai déjà, ce qui est une conclusion assez rageante vu le temps que j'ai passé à me demander ce qui serait mieux.
Peut-être qu'il y a une morale là-dedans, mais je préfère ne pas le savoir.
(je vous ai épargné tous les bidouillages et projets plus ou moins avancés destinés à créer l’instrument d’écriture ultime, ce sera peut-être pour une prochaine fois)
2. Les deux Kevin
La semaine dernière j’ai vu les deux premiers films de Kevin Reynolds, Fandango / Une bringue d’enfer (1985) et The Beast / La Bête de guerre (1988).
Je me suis laissé convaincre par un commentaire lu sur IMDb, qui affirmait que The Beast c’était “Das Boot, mais dans un tank”, une proposition parfaitement irrésistible. Adapté d’une obscure pièce de théâtre américaine, le film met en scène un tank russe pendant l’invasion soviétique de l’Afghanistan, ce qui est déjà assez intriguant.
Pour le réalisme, les producteurs avaient besoin d’un vrai tank soviétique et de décors naturels crédibles. Ils ont trouvé les deux en Israël : l’armée israélienne avait capturé et conservé un certain nombre de tanks de fabrication russe, utilisés par l’armée égyptienne pendant la guerre de 1973.
À part ça, le scénario enfile les clichés comme des perles (les bons sauvages honorables, le commandant fanatique, etc.), mais le film est sauvé, à mon sens, par des images sublimes du désert et une bande originale au synthétiseur de Mark Isham, à contre-pied de la musique martiale attendue, qui créent une ambiance élégiaque et lunaire tout à fait surprenante.
Le premier film de Kevin Reynolds, Fandango, appartient aussi à un genre très codifié, quoique complètement différent : c’est un film d’étudiants soiffards qui font n’importe quoi. Mais il possède lui aussi cette ambiance inexplicablement mélancolique, qui vient ajouter une couche de complexité à une histoire assez conventionnelle — si j’osais, je dirais qu’il y a là quelque chose de commun avec Sonatine de Takeshi Kitano.
L’histoire est simple : une bande d’étudiants fêtards partent pour une dernière virée avant d’être rattrapés pour de bon par l’âge adulte. Le ton fluctue entre bouffonnerie un peu lourdingue et soucis très concrets et pressants qui s’accumulent à l’horizon (se marier ou non, rester amis ou non, partir au Viet-Nam ou déserter). Il y a de belles séquences, notamment une visite sur le plateau de Giant, et une fin étonnamment réussie.
Fandango m’intéressait parce qu’il s’agit de la première collaboration entre Kevin Reynolds et Kevin Costner.
Costner avait 30 ans pour la sortie du film, donc six ou sept de plus que son personnage. Il est crédible parce qu’il est encore mince comme un jeune homme, mais d’un autre côté c’est perturbant, parce qu’il a construit la suite de sa carrière sur une image d’homme dans la force de l’âge. Là il ressemble à une version artificiellement rajeunie de lui-même. Costner avant l’âge mûr, c’est absurde comme une photo où une personne qu’on a toujours connue chauve est affublée de cheveux.
Fandango a enfin permis à la carrière de Kevin Costner de décoller. Deux ans plus tôt, toutes ses scènes avaient été coupées dans The Big Chill / Les copains d’abord, un film que j’adore et où il jouait aux côtés des jeunes acteurs les plus en vue de l’époque. Costner devait apparaître dans des flashbacks, mais dans le montage final, il ne reste de lui que quelques gros plans intercalés dans la séquence d’ouverture, pendant laquelle son cadavre est habillé pour la cérémonie funèbre tandis qu’on voit ses amis apprendre la nouvelle de son décès :
Après Fandango, Kevin Reynolds et Kevin Costner entament une collaboration étroite et fructueuse. Kevin Reynolds sert de “conseiller technique” sur le premier film de Costner, Danse avec les loups, qui remportera 7 oscars, dont meilleur film et meilleur réalisateur. L’année suivante, Reynolds dirige à nouveau Costner dans Robin des Bois, prince des voleurs. Nous sommes en 1991, et Costner vient d’atteindre le sommet de sa carrière.
[Non mais regardez-moi cette touche]
Objectivement le film n’est pas terrible. Le scénario est inutilement alambiqué, plusieurs scènes sont à la limite de l’incompréhensible, on passe sans transition du gore au burlesque, il y a un énorme village dans les arbres qui a dû coûter fort cher et sert pour trois scènes, Morgan Freeman est censé jouer un Arabe, etc. Apparemment le seul à avoir conscience du degré de kitsch de l’ensemble est Alan Rickman, dont l’interprétation du shérif de Nottingham est délirante au point qu’il a l’air de jouer dans un autre film que les autres. Aujourd’hui, c’est pratiquement impossible de croire que le film voulait se donner un côté reboot sombre et sérieux. Mais quand j’avais dix ans, c’était le film le plus cool du monde (à l’exception de la chanson de Bryan Adams).
En 1992, Kevin Costner sort Bodyguard. Son star power est incommensurable.
En 1994, Costner produit le film suivant de Kevin Reynolds, Rapa Nui, sur lequel il fait même office de réalisateur seconde équipe. C’est encore un film d’aventures visuellement ambitieux, naïf et suranné dans son propos, situé sur l’île de Pâques.
Le nom de Costner prend la moitié de l’affiche :
En 1995, Reynolds et Costner se retrouvent pour Waterworld, dont le tournage fût notoirement calamiteux. Les décors gigantesques qu’affectionne Kevin Reynolds coulent. Le budget explose. Les “différends créatifs” qui couvaient déjà pendant le tournage de Robin de Bois sont exposés au grand jour : Costner réclame des modifications du script, fait virer Mark Isham, qui avait fait la si belle musique pour le film de tanks, a des idées sur tout, tant et si bien que Kevin Reynolds finit par quitter le film pendant la post-production. C’est Costner qui supervise le montage.
Waterworld se plante au box office, de manière un peu injuste. Non pas qu’il soit bon, mais pratiquement tout ce qui lui a été reproché pourrait être reproché à Robin des Bois, qui avait connu un énorme succès.Après son départ du film, Reynolds a fini par balancer que “Dorénavant Kevin Costner devrait jouer uniquement dans des films qu’il réalise. Comme ça il travaillera toujours avec son réalisateur préféré et son acteur préféré”.
Ce n’est pas exactement ce qui se produisit, mais pas loin.
Depuis 1995, Costner tourne en rond. Il travaille surtout avec des réalisateurs sans grande personnalité, et il fait des films qui sont toujours plus ou moins des resucées de ses plus grands succès (des films de base-ball, des films au grand air, et plus généralement des films où il incarne une espèce de virilité tranquille, légèrement consternée par le monde moderne mais sûre d’elle et de ses principes). Il n’a jamais retrouvé son envergure du début des années 1990.
De son côté, Kevin Reynolds a enchaîné en 1997 sur 187 Code meurtre, un film-de-prof-dans-le-ghetto particulièrement glauque et réac, qui a pour principal intérêt une bande-originale à base de Massive Attack et DJ Shadow au lieu du gros gangsta rap attendu. Ensuite, rien avant une adaptation du Comte de Monte Cristo sortie en 2002, puis une adaptation de Tristan et Iseult, et un de ces néo-péplums chrétiens qui ont été brièvement à la mode vers 2015.
En 2012, Kevin Reynolds a aussi réalisé les premiers épisodes d’une mini-série western, dans laquelle Costner joue un anti-héros. Il y a eu une forme de réconciliation publique, mais maintenant tout le monde s’en fout.
3. Sandwich mystère
Cette fois c’est vous qui allez travailler un peu, chers lecteurs. J’ai besoin de votre sagacité collective pour résoudre un petit mystère.
Dans les temps reculés où on faisait encore la queue dans les commerces sans respecter de périmètre de sécurité, je me suis trouvé un jour derrière deux solides gaillards. C’était un peu avant midi, et nous attendions pour acheter du pain. Les deux hommes conversaient vivement dans une langue à consonance slave (je crois, mais très franchement je n’y connais rien). Rétrospectivement, je pense que leur discussion portait sur la question du dessert.
Quoi qu’il en soit, quand leur tour est venu, celui qui était chargé de commander a demandé deux baguettes — une pour lui et une pour son camarade je suppose — tandis que l’autre tenait en main ce que je crois être la garniture destinée aux deux baguettes, que je n’ai pas pu résister à la tentation de photographier discrètement et que je vous livre telle quelle :
Tout à fait, c’est une barquette d’anchois entre la tête d’ail et les tripes à la catalane.
Ma question est donc : quelqu’un connaît-il une recette de sandwich utilisant ces ingrédients ? Et si oui, peut-il me dire d’où cette recette est originaire ?
Ma seule hypothèse pour l’instant c’est :
(Bonus : en plus des deux baguettes, nos deux compères se sont pris deux parts de l’énorme gâteau dégoulinant de crème que l’on peut apercevoir sur la photo, dans la vitrine. On est niveau kebab dans un cheese naan / O’Tacos sur l’échelle du syncrétisme gras.)
⌾⌾⌾
Et voilà, c’est tout pour cette semaine.
À mercredi prochain !
M.
⌾⌾⌾
ABSOLUMENT TOUT paraît un mercredi sur deux, avec chaque fois trois trucs intéressants.
Pour recevoir les futures livraisons, n’hésitez pas à vous inscrire
Et si ça vous a plu et que vous en redemandez, abonnez-vous sur Patreon !