Bonsoir tout le monde.
J'espère que vous allez bien. Cette semaine je vous offre trois petites histoires d'outils ingénieux et parfaitement adaptés à leur usage.
1. Le gang des Yoyo
Ça commence à faire pas mal d'années que mes enfants n'ont plus besoin de poussette, mais je me souviens encore de la charge symbolique qui pèse sur le choix d'un véhicule personnel pour son premier né. On passe des semaines dans les affres, à lire des comparatifs et à chercher des promos, à se demander ce qu'il faut choisir — et au fond quel parent on projette d'être.
La poussette, c'est la première occasion qui est offerte aux jeunes parents de montrer le point auquel ils veulent le meilleur pour leur enfant, et de le faire savoir :
Parmi l'infinité des produits que la publicité cherche à vendre aux jeunes parents, la poussette est sans doute l'objet le plus public. D'après Sewell, certaines marques et catégories de produits pour bébés sont associés (de manière souvent inconsciente) à l'idée de sécurité, d'attention et de vigilance, mais aussi à une forme de supériorité morale, sociale, ou éthique. Aujourd'hui, ce ne sont plus des poussettes à $800 qu'on croise dans les squares de certains quartiers de New York, mais des systèmes de voyage UppaBaby VISATA à $1900. Dans certains milieux, une poussette avec un prix à quatre chiffres et tous ses accessoires annonce une petite enfance sous l'égide d'une mère cosmopolite et sereine, et pleine de cours de musique, de couleurs douces, et de bentos bios pour bébés.
[The Imperative to Buy the Best Stroller]
À Paris (où les modes sont toujours une version un peu provinciale et en léger différé de celles de New York), la poussette ultime c'est la Yoyo. C'est le Brompton de la poussette : un pliage incroyablement plus compact que celui de ses concurrentes, et qui en fait le seul choix raisonnable pour une certaine catégorie de gens — c'est la poussette de ceux qui n'ont pas forcément de voiture, mais ont des revenus disponibles pour s'acheter le meilleur, de ceux pour qui l'encombrement est un critère crucial et qui prennent souvent l'avion — bref c'est la poussette des Parisiens.
Comme tous les équipements pour jeunes enfants, les poussettes ne servent pas très longtemps, et il existe donc un vigoureux marché de l'occasion. Et entre la forte demande pour les modèles prestigieux et la facilité à les revendre, il y a pas mal de vols de poussettes — ces dernières années, à Paris, la presse se faisait régulièment l'écho des méfaits du "gangs des Yoyo" :
Plus que des vols d’opportunité, Yoyo et Bugaboo sont ciblées par des voleurs organisés. Dans le XIe, les parents parlent entre eux du « gang des poussettes ». Ceux du XIXe du « gang des Yoyo ». Sonia, une maman qui vit dans ce dernier arrondissement en a entendu parler la première fois lors de son rendez-vous à la crèche. « On m’a tout de suite informée qu’il y avait des vols dans l’arrondissement, qu’il y avait le gang des Yoyo et qu’il fallait faire attention, l’attacher avec un antivol. J’en ai acheté un. Au début, je le mettais mais la vie parisienne a fait que je ne prends plus le temps ».
Les familles du XIXe restent marquées par une cette journée de juin 2019 au cours de laquelle 17 poussettes ont disparuen une seule fois de la crèche Les p’tits Gailhard de la fondation Croix Saint-Simon face au parc des Buttes-Chaumont, rue Botzaris. Le butin : exclusivement des Yoyo. Pourtant l’établissement privé est caché derrière des claustras marron et une porte grillagée qui se déverrouille avec un code et qu’il faut franchir avant d’accéder au local à poussettes, sur la gauche. L’ambassade de Tunisie est toute proche et la zone est couverte par des caméras. Tout comme la crèche qui possède une vidéosurveillance. Cela n’a pas empêché les malfaiteurs d’agir à l’heure de la sieste.
[Les «gangs de poussettes» écument l’Ile-de-France : près de 3500 vols depuis 2016]
Quelle sournoiserie ! Mais qu'on se rassure, les cerveaux de la bande ont été arrêtés il y a quelques mois.
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Je ne sais trop que conclure de cette histoire de poussettes à 1000 balles, si ce n'est que j'ai le sentiment qu'on projette presque autant sur l'accessoirisation de nos gamins que sur la déco de nos intérieurs, ce qui n'est pas peu dire. Une fois la poussette volée ou revendue, la distinction trouvera d'autres moyens de s'exprimer. Elle passera par les inscriptions des activités extrascolaires, par les tests HPI, ou par la raison que nous trouverons de ne pas les inscrire au collège de secteur. Mais nos enfants devront toujours être les vitrines de l'excellence de l'éducation qu'on leur donne, de l'intelligence de nos choix, de tous les efforts qu'on fait pour leur donner le meilleur.
2. Electric Zines
Electric Zine Maker est un logiciel charmant créé par @alienmelon. Comme son nom l'indique, il permet créer de petits journaux à imprimer et plier soi-même.
Electric Zine Maker permet vraiment de réaliser l'intégralité du zine dans un même logiciel (importation et traitement des fichiers externes, typographie, mise en page, etc.), avec des outils simples et rigolos, étonnamment variés. Pour s'y retrouver, un petit assistant patatoïdal donne des explications sur les différents boutons et fonctionnalités, parfois avec beaucoup de détails, et parfois en invitant l'utilisateur à essayer, pour voir.
Malgré tout, quand on débarque, c'est facile de se perdre dans la myriade d'outils proposés (c'est même un peu le but), et si on est un peu trop prudent, on se trouve souvent à créer des pages qui ressemblent à des stories Instagram, faute de bien savoir quoi faire d'autre.
Et c'est déjà très bien, hein, mais c'est vraiment possible de créer de petits zines certes lo-fi, mais débordants de personnalité — il y a plein d'exemples ici, et une petite sélection réalisée par @alienmelon là :
Electric Zine Maker est disponible à prix libre et je vous incite vivement à le télécharger, que ce soit pour faire des petits zines pour les gens que vous aimez ou pour laisser traîner des blagues anonymes dans les couloirs de votre boulot.
3. Le Gyrocator
C'est difficile à croire, même quand on a l'âge d'avoir connu des temps si reculés, mais les GPS n'ont pas toujours existé. Jusque dans les années 2000, la navigation en voiture représentait un problème généralement résolu avec des cartes. Mais ça ne veut pas dire qu'on n'essayait pas de faire mieux.
À la fin des années 1970, des ingénieurs de chez Honda planchent sur un moyen à même de faciliter le déplacement des automobilistes, sans qu’ils ne soient contraints de recourir à une carte routière traditionnelle. Une solution, dérivée des gyroscopes utilisés par les chars d'assaut de l’armée japonaise, est étudiée. Rapidement, c’est le gyroscope à gaz qui est retenu, principalement pour sa compacité et malgré une certaine imprécision. Les ingénieurs japonais travaillent d’arrache-pied pour fiabiliser la chose et, après plusieurs mois de développement, parviennent à un compromis satisfaisant !
[Voici le "Gyrocator", l’ancêtre du GPS selon Honda]
On insérait dans la machine des cartes imprimées sur transparents, et le gyroscope "suivait" les déplacements de la voiture en synchronisant sa position sur la carte, avec une précision assez impressionnante : la déviation était de +/- 3,5% de la distance parcourue, donc environ 35 mètres par kilomètre. Et la beauté d'un système analogique, c'est qu'au pire, il suffisait de replacer la carte au bon endroit pour recalibrer la navigation.
Comme tous les systèmes antérieurs à l'ère des écrans tactiles généralisés, le Gyrocator nous paraît aujourd'hui charmant, merveilleusement désuet et ludique, avec ses classeurs de cartes et tous ses boutons, une relique d'un temps plus innocent.
Et plus profondément, l'ingéniosité déployée et la complexité des technologies en jeu a quelque chose de poignant. Voir les gens des années 70 s'attaquer à des problèmes qui seraient résolus quelques années plus tard par les progrès de l'informatique me fait penser à des alchimistes qui, pour toutes leurs intuitions géniales, ne pouvaient rien au fait d'être nés un peu trop tôt.
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Et ce sera tout pour cette fois. Je vous retrouve tous dans deux semaines avec un nouveau zine et des histoires fraîches.
Portez-vous bien.
M.