Ce mois-ci, je vous ai préparé deux zines jumeaux, qui parlent chacun à leur manière du futur, de villes, et de manières de vivre au milieu de tout ça. Voici le premier, vous trouverez le second ici.

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1. Je n’avais jamais joué à Animal Crossing. Mais à Noël, j’ai vu mes enfants se créer une île, et je me suis laissé happer, moi aussi.

À moins d’être vraiment accablé de boulot, je joue tous les jours. C’est un jeu qui récompense les sessions courtes et régulières, et qui décourage même les sessions prolongées (au bout de 20 minutes à pêcher, on ne remonte plus guère que des vieux pneus et des boîtes de conserve rouillées). J’aime bien l’idée de ne pas pouvoir mourir ni être réellement violent (on peut taper sur la tête des autres habitants avec son filet à papillon, mais il faut s’excuser après). J’aime aussi le fait que chacun puisse jouer à sa manière, trouver ce qui l’intéresse. Ma fille et moi collectionnons les vêtements, on s’en offre lorsqu’on voit quelque chose qui pourrait plaire à l’autre ; mon fils aime cultiver des légumes et pêcher des créatures exotiques, sa maison est jonchée d’aquariums remplis de poissons extraordinaires. Moi, en plus des vêtements, j’adore décorer mon intérieur, ça canalise mes pulsions Vinted / Le bon coin, c’est parfait.

Chacun joue à son tour, mais malgré la solitude apparente de l’expérience de jeu, tout le monde habite la même île, et on a une forme d’obligation à collaborer entre joueurs, qu’il s’agisse de se cotiser pour financer la construction d’un nouveau bâtiment ou de s’entendre pour échanger des matériaux, des plans ou des objets. La rareté des choses est artificielle mais soigneusement entretenue — on peut bien gagner tout l’argent qu’on veut, les objets arrivent au compte-gouttes, et tous les joueurs n’ont pas nécessairement accès aux mêmes. Cette logique d’interdépendance replace enfants et adultes sur un pied d’égalité. Quand je supplie un de mes enfants de me fabriquer une chaise en fer forgé pour aller avec ma table de jardin, ça lui demande un effort et un petit sacrifice, mais ça le place aussi en position de pouvoir.

J’aime ouvrir ma boîte à lettres pour lire les messages charmants et maladroits que mon fils ou ma fille m’ont posté la veille, ou bien découvrir les traces de leur dernier passage en voyant les arbres et les potagers qu’ils ont plantés, les trucs qu’ils ont laissé traîner sur la plage ou les fleurs qu’ils ont cueillies et qui n’ont pas encore repoussé. C’est un jeu collaboratif mais asynchrone, dont les autres joueurs sont toujours absents mais jamais oubliés, laissant sur l’île l’ombre de leur présence.


Vous pouvez lire la suite dans Kimchi Overdose Volume 10.1 — Vivarium, à télécharger ici :

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