Bonsoir tout le monde.

Cette semaine, on va parler de choses un peu étranges, un peu en biais, un peu borderline.

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Au passage : si ça vous dit, j’ai sorti un petit fanzine la semaine dernière, avec des textes plus longs qu’ici, des blagues, et des histoires. Vous pouvez aussi vous abonner sur Patreon si vous voulez en recevoir un chaque mois !

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Allez c’est parti.

1. Uber

Trackmania est une série de jeux de course, qui ont la particularité d’allier une physique délicieusement fantaisiste au perfectionnisme millimétrique qu’on rencontre plus fréquemment dans les jeux de course sérieux, qui visent à reproduire le plus fidèlement possible la réalité.

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Dans Trackmania, rien de tout ça. On n’a même pas le choix de la voiture qu’on pilote. À chaque environnement correspond une voiture (un genre de Lamborghini dans Island, une R5 GT dans Valley (ou une Mini S, dans les version plus récentes), un Range Rover dans Bay, etc.), et tout le monde a la même. Et il n’y a pas non plus de collision entre les différents véhicules : même à plusieurs, le seul adversaire c’est le chrono.

https://gfycat.com/fr/babyishheavyhorseshoecrab

Autre particularité, chaque jeu possède un éditeur permettant aux joueurs de créer leurs propres circuits ou “maps”. Il en existe donc des milliers, qui s’inscrivent dans divers genres aux noms évocateurs (précision, acrobatic, press forward, fullspeed, overdose, etc…).

[Phantom Fake, une map “Press Forward” : il suffit d’appuyer sur l’accélérateur, et le positionnement des différents blocs par l’auteur fait le reste]

Trackmania Nations, initialement sorti en 2006 pour l’Electronic Sports World Cup, possède toujours une communauté très active. L’environnement qui y a fait ses débuts, Stadium, est de loin celui qui a connu le plus grand succès, avec son espèce de Formule 1 / quad et ses blocs épurés, qui abandonnent tout réalisme pour rapprocher encore le jeu de l’abstraction totale. Il n’y a plus que la recherche de la trajectoire parfaite et du meilleur temps.

Pour parvenir à la perfection, on recommence beaucoup. Des dizaines de fois quand on veut gagner la médaille d’or sur un circuit, des centaines ou des milliers quand on veut battre un record. La compétition est féroce, et la conduite doit être irréprochable.Pour grappiller quelques centièmes de secondes, les meilleurs pilotes cherchent donc à optimiser leurs trajectoires, mais aussi à trouver des raccourcis, qui sont généralement acrobatiques :

https://gfycat.com/fr/advancedwelllitdavidstiger-trackmania

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Et après cette longue introduction, j’en arrive à ce dont je voulais vous parler : les maps uber. Le “uber bug” est une manière d’envoyer voler la voiture de Trackmania en heurtant le bord du circuit avec des paramètres très précis. Du coup il y a des maps uber, où il faut déclencher le bug pour pouvoir finir.

Voilà, si vous avez juste 30 secondes, regardez cette vidéo :

Mais si vous avez neuf minutes, je vous conseille vraiment celle-ci, qui montre tout le parcours du créateur du circuit (et dont les sous-titres français valent le détour) :

2. Répliques subliminales

Au temps du cinéma muet, les acteurs américains ne se privaient pas pour dire des gros mots à l’écran, de manière totalement décorrélée des paroles qui leur étaient attribuées par les intertitres. Où était le mal, puisqu’on ne les entendait pas ?

C’était sans compter sur les spectateurs qui lisaient sur les lèvres. En décembre 1910, une certaine Mrs. Elmer Bates de Cleveland, Ohio, fit le tour des cinémas de la ville avec un reporter d’une quotidien local :

Mrs. Bates a fait le tour des séances du centre-ville hier, accompagnée par un reporter qui prenait en note ce que disaient les acteurs du film, et par moments les termes employés étaient si abominables qu’elle devait s’interrompre… Jurons, noms et commentaires infâmes sortent de la bouche des acteurs lorsqu’ils sont filmés, souvent sans le moindre lien avec l’intrigue qu’ils jouent. […]

Pour les sourds-muets, les obscénités silencieuses sont aussi réelles que celles qui sont prononcées aux oreilles du reste de l’humanité, et les muets de Cleveland demandent aux autorités de la ville de faire censurer les bobines par une personne qui lit sur les lèvres avant qu’elles ne soient montrées au public.

[Éditorial de Press Democrat du 25 décembre 1910, cité par Jeff Elliott]

C’est amusant de penser qu’aujourd’hui encore, les Américains ont conservé cette espèce de terreur sacré des gros mots, décomptant patiemment le nombre de “shit” et de “fuck” prononcés dans chaque film pour savoir à qui on peut le montrer.

Et si désormais ça s’entend quand les acteurs lâchent des gros mots, le jeu du chat et de la souris se poursuit entre les censeurs et dialoguistes, qui trouvent toujours des manières détournées de faire entendre des obscénités sans avoir à les prononcer — par exemple les dialogues inintelligibles de Kenny, dans South Park, dont on comprend parfaitement les grossièretés grâce aux réponses des autres personnages.

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Parfois, l’effet est involontaire. Je pense à l’histoire légendaire de l’ultime film de John Ford, Cheyenne Autumn :

On dit que le dernier film de John Ford était pour partie une forme de pénitence, pour expier tous les méchants Indiens meurtriers qu’il avait mis dans ses précédents westerns. Cette fois, il voulait montrer à quel point ils avaient été mal traités, montrer leur point de vue. Super, John, mais est-ce que ça t’aurait tué d’embaucher quelques Indiens pour ce film ? Au lieu de ça on a eu beaucoup de Blancs (Sal Mineo, sans déconner) et d’Hispaniques. […]

Ford voulait tellement que ce soit “authentique” qu’il voulait que tous les “Indiens” du film, Sal Mineo compris, parlent Cheyenne… sauf que les extras, et les coaches qui apprenaient leurs répliques aux “Indiens”, étaient tous Navajos, et ne parlaient pas un mot de Cheyenne. Donc ils leur ont appris le Navajo. Qui allait s’en rendre compte ? Seulement un autre Navajo, évidemment.

D’après Tony Hillerman, qui connaissait beaucoup de Navajos, les dialogues effectivement prononcés sont des blagues obscènes en Navajo. C’est sans doute la raison pour laquelle, dans les cinémas de la région des Four Corners […], le public tombait de son siège de rire chaque fois qu’un “Indien” ouvrait la bouche.

[Movie Reviews — Cheyenne Autumn (1964)]

Quelqu’un avait monté un Kickstarter en 2017 pour faire traduire les blagues en question, malheureusement sans obtenir les fonds nécessaires. Et au fond peut-être que c’est mieux de ne pas connaître le fin mot de l’histoire, la légende est toujours plus belle.

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(J’ai lu aussi que c’était la même chose dans La Guerre du feu, quand les protagonistes rencontrent les Ivaka, qui sont joués par des Inuits du nord du Canada et qui y disent apparemment beaucoup de grossièretés.)

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Et pour l’effet inverse, il y a cette scène de l’incroyable Schizopolis de Steven Soderbergh, où les personnages disent, à la place de leurs répliques, une sorte de description de leur contenu implicite, obligeant le spectateur à monter les dialogues en kit dans sa tête à partir des clichés entendus cent fois dans des scènes similaires :

[Le film est disponible en entier sur YouTube, mais si vous cliquez je vous l’ai mis au bon moment]

3. Arraisonnements

Pour finir, deux petites histoires de bateaux.

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J’avais lu une fois que la Méditerranée était infestée de sous-marins pendant la guerre civile espagnole, ce que je n’imaginais pas, et qu’aujourd’hui encore il restait des doutes quant à qui, exactement, avait coulé les nombreux navires commerciaux attaqués. En cherchant à vérifier cette histoire, je suis tombé sur un amusant article d’époque qui raconte l’attaque du tanker anglais Woodford, coulé en septembre 1937. À l’époque, la France et l’Angleterre blâmaient l’Italie fasciste, qui niait en bloc. J’ai cherché ce qui était arrivé au Woodford, et j’ai constaté qu’on savait désormais très bien qui avait coulé quel bateau — en l’occurence, le coupable était bien un sous-marin italien, le Diaspro :

[Le Diaspro]

Le Diaspro quitta Naples le 25 août pour patrouiller au large du Cap Oropesa. Le 1er septembre 1937, le Diaspro aperçut à proximité de Benicarló un tanker faisant route vers Alicante. Incapable de rattraper le bateau en restant submergé, le Diaspro attaqua le tanker en surface en lançant deux torpilles. L’équipage du bateau les repéra, parvint à manœuvrer et à les éviter complètement, puis tenta de percuter le sous-marin. Le Diaspro lança alors deux nouvelles torpilles, qui touchèrent le bateau en son milieu et le coulèrent. Le capitaine du sous-marin pensait qu’il s’agissait d’un tanker républicain 6987 GRT faisant route vers Alicante sous le faux nom de SS Woodford, car l’équipage semblait être roumain. En réalité, le bateau avait récemment été acquis par un armateur britannique.

[Italian submarine Diaspro]

À quoi ça tient, quand même, de se faire torpiller.

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Et pour la route, je vous offre ce tweet délicieux :

[Cliquez pour sur le tweet pour lire quelques détails]

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Et ce sera tout pour cette fois.

On se retrouve la semaine prochaine pour les abonnés Patreon, et dans tous les cas le 12 mai pour une nouvelle livraison d’ABSOLUMENT TOUT.

D’ici là, portez-vous bien et tâchez, tant bien que mal, de ne pas fondre une durite. Contrairement à ce que je répète à l’envie, on sortira bien un jour.

M.