Bonsoir tout le monde.

Cette semaine, relâche : je vous écris depuis le train qui me ramène vers Paris, et je profite de la fin du mois pour me reposer sur vous et vos multiples corrections amicales, anecdotes piquantes et conseils avisés. C'est tout bénéfice pour vous, puisqu'il y aura nettement plus de trois choses intéressantes.

1. Corrections

On me signale dans mon oreillette que le pingouin solitaire qui partait à l’assaut du pôle il y a quelques semaines n’était pas un pingouin :

Je n'oserai plus jamais me moquer des traductions pleines de calques des journalistes de Slate.

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À propos des aires de jeu pour enfants dont je vous parlais la semaine dernière, j'ai repensé après coup à celle où j'ai emmené mon fils pratiquement chaque jour de juillet 2013, alors que nous attendions tous impatiemment la naissance de sa petite sœur, et dont l'honnêteté m'oblige à reconnaître qu'elle est pas mal — jolie et d'une conception relativement ouverte :

[Mon fils au square Léo-Ferré, anciennement Jardin Brulon-Citeaux]

Mes enfants me rappellent par ailleurs qu'il y a un “terrain d'aventures” dans le Bas-Montreuil, et qu'ils y sont allés avec leur maman, ce que j'avais complètement oublié :

Décidément, Montreuil est toujours aux avant-postes de la gentrification (et nous aussi).

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Enfin, à propos de la tonte des moutons, un aimable lecteur s'insurge à juste titre :

Dommage d'avoir mis en lien une compétition avec tondeuses électriques, en voici une avec forces :
(c'est beaucoup moins impressionnant mais ça a l'air bien difficile !)

2. Compléments

Toujours sur les moutons, l’inépuisable @temptoetiam a des informations de première importance :

Autre anecdote tonte-related : une toison c'est gras, mais alors très très gras (on en tire d'ailleurs la lanoline, très utile en cosmétique et dermatologie). En conséquences, après quelques moutons un tondeur professionnel nage dans le suint, et risque de glisser en bossant.

Les tondeurs portaient donc des chaussures specialement antidérapantes en feutre. (Source : une copine agronome)

Étonnamment, en cette ère de vêtements techniques, c'est toujours le feutre qui est utilisé, en compétition.

Et en toute logique la marque de référence est néo-zélandaise.

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Un lecteur particulièrement débrouillard (loué soit-il) est parvenu à me dégotter En chantant derrière les paravents, par des chemins que la morale réprouve peut-être. Comme il me l’écrit :

Bien évidemment, cette copie de film n'est pas exactement à proprement parler tout à fait officiellement libre de droits (je crois que je viens d’accoucher de la plus belle esquive de l'emploi du terme "légal" de ma vie, c'est pour mieux tromper ces salopards de Google qui font rien qu'à lire mes messages dans mon dos pour m'accuser de méfaits qui pourtant jamais n’effleureraient mon esprit), mais dans mon souvenir, le producteur/distributeur du film (Pierre Grise distribution) a disparu depuis 2014, et je ne pense pas qu'il soit possible de trouver ce film en VOD (même si je dois t'avouer ne pas avoir fait de recherches extensives sur le sujet). Au passage, je ne le connais pas et ne l'ai pas visionné, je l'ai juste cherché pour essayer de te faire plaisir... Je te laisserai me dire éventuellement s'il mérite sa note très correcte sur IMDB.

Alors oui, j’ai beaucoup aimé le film, qui est étonnamment doux et paisible pour une histoire de terribles pirates, notamment parce qu'en tournant les scènes de mer sur un lac on manque nécessairement de vagues. Mais ça lui donne un côté lancinant et théâtral très plaisant.

À noter, en plus de la version originale italienne, le fichier dispose de ces pistes audio typiques de l’Europe de l’Est, à mi-chemin entre le doublage et l'audio-description, où tout est doublé par une seule personne qui s’exprime au discours indirect par-dessus la version originale. C'est un reliquat des VHS pirates de films américains à la fin de l'URSS, qui m'a toujours fasciné, et dont je vous parlerai sûrement un jour.

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Il y a deux semaines, un formidable ami belge m'a raconté à brûle-pourpoint ses souvenirs de dropping chez les scouts, que je vous livre tels quels :

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À propos du vol d'essaims d'abeilles, l'excellent @Saint_Loup m'a recommandé cet article tout à fait incroyable :

Il arrive que des essaims disparaissent. Mais d'habitude, c'est “un ou deux par-ci, par-là”, explique Strachan. Des vols d'opportunité de mecs saouls qui passaient par là en pick-up. Mais cette fois, c'était une opération méthodique. Les essaims de Cunniff n'étaient pas les seuls à avoir été volés. Au total, plus de 700 avaient disparu en une nuit, pour une valeur de près d'un million de dollars. Les voleurs avaient besoin d'équipement lourd, et du matériel nécessaire à calmer et à contenir les ruches, c'est-à-dire des tenues d'apiculteur et des enfumoirs à main. Le coupable, quel qu'il soit, savait comment manipuler des abeilles.

[How to Steal 50 Million Bees]

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Sur la question de l'éducation des enfants au danger, la merveilleuse @notoriousbigre m’écrit : “Je suis toujours impressionnée par les Nordiques, une copine vient par exemple de poster sur Instagram des jeux pour enfants suédois comportant une scie et un marteau, destinés aux enfants à partir de 3 ans.”

Ça a existé en France, un temps au moins, puisque je suis tombé sur cette splendide malette dans le grenier de ma belle-mère :

Malheureusement, les outils ne sont pas réellement fonctionnels (la scie ne coupe rien, le tournevis est un peu mou). Ce sont toujours des jouets, même premium (et l’étiquette précise que c’est pour les plus de 8 ans).

Un autre de mes amis a tranché le nœud gordien et offert de vrais outils à son fils de 7 ans et demi pour un Nöel, et aucune blessure n'est à déplorer un an et demi plus tard. Je crois même savoir que sa trousse à outils est tellement bien équipée qu'elle est parfois utilisée en douce par le papa, qui ajoute :

Évidemment la boîte à outils n’est rien, tant que la motivation est absente. Ce qui marche toujours, c’est la fabrication d’arcs, d’armes, etc. Les outils les plus utiles et mettables en libre service : papier de verre, râpe à bois, scie bocfil, ficelle, ciseaux, scotch, fil de fer, marqueur, crayon, pince coupante.

3. Et puis

Pour finir, je vous propose quelques articles intéressants lus ces derniers jours.

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Steven Pinker est un psychologue cognitiviste canado-américain, tenant de la psychologie évolutionniste (ce qui constitue déjà une forme d'avertissement), et qui sort des livres grand public traitant de vastes sujets (il ne faut pas avoir peur de grand chose pour appeler un livre How the mind works). En 2011, Pinker a sorti un livre intitulé The Better Angels of Our Nature (La Part d'ange en nous, en français), et dont la thèse fondamentale est que nous, modernes, sommes infiniment plus civilisés que tous les hommes qui nous ont précédés.

Je suis certes particulièrement mal placé pour faire la leçon aux gens qui se mêlent de sujets dépassant leur domaine d'expertise, mais tout de même, quand on veut écrire une grande analyse historique englobante, il n'est pas interdit d'aller consulter des travaux d'historiens plutôt que de dire n'importe quoi, comme le démontre longuement cet article de Spencer Alexander McDaniel :

En lisant le livre de Pinker, le lecteur aura l'impression qu'à l'époque pré-moderne, tout le monde était un monstre brutal, que la violence gratuite était omniprésente et inévitable dans la vie quotidienne, et que personne ne considérait des choses telles que le viol, la torture ou le génocide comme problématiques. C'est une description tout à fait erronée qui tient au fait que Pinker se fonde largement et sans guère de recul sur un petit nombre de sources peu fiables, ainsi que sur des œuvres de pure fiction.

[Steven Pinker’s “The Better Angels of Our Nature” Debunked]

Pour l'antiquité grecque, par exemple, Pinker base apparemment l'essentiel de son analyse sur l'Illiade et sur le travail du critique littéraire Johnathan Gottschall, plutôt que sur celui d’historiens, même antiques. Le paragraphe ci-dessous a particulièrement piqué ma curiosité :

Ironiquement, ce que les poèmes d'Homère peuvent peut-être nous apprendre, dans une perspective historique, c'est qu'une large part de leur public originel n'avait sans doute jamais fait l'expérience de la bataille ; pour décrire les combats, le poète a fréquemment recours à des comparaisons avec des scènes du quotidien et de la nature, notamment animalières, ce qui semble indiquer, pour beaucoup de critiques, qu'Homère essayait d'invoquer des images d'une bataille pour ceux qui n'en avaient jamais vue.

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Ghosts of Tsushima sort sur PS4 ces temps-ci. C'est un jeu à gros budget du studio américain Sucker Punch, où l’on incarne un samouraï. Le jeu revendique ouvertement l'influence d'Akira Kurosawa — il y a un “Kurosawa mode” où tout le jeu est en noir et blanc, avec effet vieille pellicule abimée. Je n'y ai pas joué (j'ai même pas de PS4), mais j'ai été intéressé par cet article de Kazuma Hashimoto sur Polygon, qui veut rendre sa complexité à la figure du samouraï dans la filmographie de Kurosawa et dans la politique japonaise contemporaine.

Ghost of Tsushima s'inscrit dans cette lignée, mêlant action et drame pour évoquer l'héritage de Kurosawa. “Nous affronterons la mort pour défendre nos foyers”, déclare Shimura, le seigneur de Tsushima, quelques minutes après le début du jeu. “Tradition. Courage. Honneur. Voilà ce que nous sommes.” Il rassemble ses hommes en leur rappelant le credo du samouraï : ils mourront pour leur pays, pour leur peuple, mais c'est ainsi qu'ils se couvriront d’honneur. Et l'honneur, la tradition, et surtout le courage, sont l'essence du samouraï.

Sauf que ce credo n'a pas toujours existé, que Kurosawa n'y adhérait pas sans réserve, et que ce message ne saurait être séparé de la façon dont les politiciens japonais modernes du centre-droit et de l'extrême-droite parlent aujourd'hui du “code [des samouraïs]”.

[Ghost of Tsushima, Kurosawa, and the political myth of the samurai]

Mon anecdote favorite : en 2019, le parti libéral démocrate (droite) a commandé au célèbre illustrateur Yoshitaka Amano un portrait du premier ministre Shinzo Abe en samouraï :

Pour référence, une photo de Shinzo Abe, le Sarkozy japonais :

Comme je le disais sur twitter, imaginez un peu En Marche qui commanderait à Joan Sfar un portrait d'Emmanuel Macron en mousquetaire.

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Enfin, j'ai été intéressé par ce long article de Sally Davies sur l'histoire du travail à temps partiel et à horaires flexibles, qui étaient à l'origine des revendications féministes, avant de servir de cheval de Troie à la situation actuelle, où quels que soient les horaires et l'endroit où l'on se trouve, on est toujours plus ou moins au travail, soumis à une sorte d'astreinte molle :

Les politiques actuelles de flexibilité ne sont pas nées subitement en réponse à une crise, mais graduellement, dans le sillage de l'activisme de la deuxième vague féministe. Dans les années 1970, même si de plus en plus de femmes avaient rejoint la population active, elles continuaient à assumer une part disproportionnée des tâches domestiques et de garde d'enfants. Dans les groupes militants et de sensibilisation qui se développaient aux États-Unis et en Europe, les femmes réalisèrent progressivement que ce qui avait pu sembler "simplement" personnel était en réalité politique. Une nouvelle génération d'activistes exigeait que la structuration et les conditions du travail salarié chagent. L'idée était de le rendre mieux adapté aux besoins des travailleurs responsables d'autres personnes et de permettre aux femmes de tous les milieux de prendre part à la vie économique sur un pied d'égalité avec les hommes. Parallèlement, on attendait des hommes qu'ils contribuent plus largement à l'entretien du foyer et de la famille. [...]

Dans les décennies qui ont suivi la remise en cause des structures du travail salarié par les féministes, leur vision originelle a disparu. Si les employeurs ont adopté certaines de leurs idées pour réformer les entreprises, ils ont globalement réussi à ignorer stratégiquement la question de savoir qui s'occupe des enfants. Ironiquement, la récupération des idées féministes sur la transformation du salariat a plus contribué à créer une culture professionnelle du 24h/24, 7j/7 qu'à ouvrir de nouvelles opportunités aux femmes.

[The flexible work fallacy]

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Et ce sera tout pour cette semaine.

À bientôt, portez-vous bien.

M.

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