Bonsoir tout le monde.

Cette semaine je suis pris par le temps (et par la mélancolie qui nous étreint tous).

1. Tournée générale

En voyant Drunk il y a quelque temps (et en y repensant pratiquement chaque jour depuis), je me suis posé une question qui vous a sûrement traversé l’esprit à tous, à un moment ou à un autre : est-ce que les acteurs boivent vraiment de l’alcool sur les plateaux de cinéma ?

Bon, globalement la réponse est simple et la réponse est non. Outre les questions d’assurance, les stars notoirement alcooliques et capables de compromettre un tournage si on les faisait boire, et le fait que picoler sur son lieu de travail n’est jamais une riche idée, se pose tout bêtement un problème pratique : au cinéma on fait plusieurs prises, parfois beaucoup, et ce ne serait tout simplement pas gérable de faire boire un verre d’alcool aux acteurs chaque fois qu’ils doivent recommencer la scène.

Mais alors, me direz-vous, que boivent-ils ? Je suis tombé sur cette liste plutôt issue du théâtre américain :

Bière : thé glacé gazeux ou bière sans alcool, titrant moins de 0.5% […]

Boissons sombres : thé léger

Liquides transparents: eau

[In movies when actors' characters drink alcohol, do they really? If not, what do they drink?]

Cela paraît corroboré au moins en partie pour le cinéma français, puisque j’ai aussi lu que les tontons flingueurs buvaient du thé léger pendant la célèbre scène de la cuisine.

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Il y a évidemment des contre-exemples d’acteurs saouls qui filtrent, et qui tombent globalement dans deux catégories : les actrices qui se donnent du courage avant de tourner nues, et les method actors tendance macho — Brad Pitt et Edward Norton qui étaient effectivement pétés pour leur première bagarre dans Fight Club, Billy Bob Thornton dans Bad Santa, Martin Sheen pour la première scène d’Apocalypse Now, Johnny Depp en diverses occasions, et ce blaireau de Shia LeBeouf qui était constamment défoncé au moonshine sur le tournage de Lawless.

Tout cela laisse comme un goût de pathétique.

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Pour clore le sujet, je vous offre cette histoire, entendue je ne sais plus où et que je vous raconte de mémoire, comme si on était au bar et que j’attendais ma quatrième pinte, donc pardon si je me trompe sur les détails. Bref. Sur le tournage de Marathon Man, Dustin Hoffman demande un peu de temps avant une prise, pour aller courir avant de tourner la dernière scène, afin d’être en sueur et éreinté comme son personnage. Laurence Olivier, qui joue le méchant, reste assis sur son fauteuil de plateau. Dustin Hoffman revient, passablement essoufflé. Les acteurs se mettent en place. À l’instant où on crie « Moteur ! », Laurence Olivier, d’abord calme, est bientôt poussé dans ses derniers retranchements. Il paraît au bord de l’épuisement, il se décompose, il suffoque.

Après la prise, Dustin Hoffman lui demande comment il a fait pour avoir l’air plus épuisé que lui qui venait de se taper trois tours de terrain. Laurence Olivier répond : « Moi, jeune homme, je joue. »

2. Mautam

Les bambous fleurissent extrêmement rarement (tous les 40 à 80 ans en général) et, une fois leur floraison terminée, ils meurent. D’habitude, les nouveaux bambous ne se développent pas à partir de graines, mais des pousses issues des rhizomes d’un autre bambou. Et le plus surprenant est que toutes les plantes issues à l’origine d’un même bambou fleurissent et meurent simultanément. Même si on les déplace ailleurs, dans un environnement et un climat différents. On parle de floraison grégaire.

À l’ombre des bambous en fleurs

Après leur floraison, les bambous donnent des fruits. Et c’est là que les ennuis commencent :

La fructification en masse a également des conséquences économiques et  écologiques directes. L'énorme augmentation des fruits disponibles dans  les forêts provoque souvent un essor dans les populations de rongeurs, entraînant une augmentation des maladies et de la famine dans les  populations humaines à proximité. Par exemple, des conséquences dévastatrices se produisent lorsque la population de Melocanna baccifera (syn. = Melocanna bambusoides) fleurit et donne des fruits une fois tous les 30 à 35 ans autour du golfe du Bengale. La mort des bambous après leur fructification signifie que les  populations locales perdent leur matériau de construction, et la forte augmentation de la quantité disponible de graines de bambous conduits à  une augmentation rapide des populations de rongeurs. Le nombre de rongeurs augmentant, ils consomment tous les aliments disponibles, y  compris dans les champs de céréales et les aliments stockés, entraînant parfois la famine. Ces rats peuvent également transmettre des maladies dangereuses, comme le typhus, la typhoïde et la peste bubonique, qui peuvent atteindre des proportions épidémiques à mesure que le nombre de rongeurs augmente.

[Floraison des bambous]

Dans les États du Mizoram et du Manipur, au nord-est de l’Inde, dont 30% de la surface est couverte de bambous, ces crises portent le nom de mautam. La dernière a eu lieu en 2006.

[merci @Maitre_Poulard pour cette histoire]

3. La grande renonciation

La Grande Renonciation masculine est le phénomène historique selon lequel à la fin du XVIIIe siècle le vêtement masculin cesse d'employer des formes brillantes, raffinées, laissées au seul vêtement féminin. Nommée par le psychanalyste anglais John Carl Flügel dans les années 1930, elle est considérée comme un tournant majeur de l'histoire du vêtement au cours duquel les hommes renoncent à leur prétention à l'ornementation et à la beauté. Cette Grande Renonciation encourage l'établissement du monopole du costume sur leur tenue au début du XIXe siècle.

[Grande Renonciation masculine]

On peut voir les prémisses de ce mouvement avec la disparition progressive des talons hauts au XVIIIe, ou à la révolution française, lorsque les bourgeois sans-culottes détrônent l’aristocratie, ou encore aux États-Unis, chez Benjamin Franklin, qui renonça à la perruque et aux beaux habits.

En abandonnant les talons hauts et les culottes complexes qui flattaient leur musculature au profit de vêtements confortables et utilitaires, les hommes de l’époque se définissaient notamment par opposition aux femmes :

“C’est le moment où commence une discussion sur le fait que les hommes, quelles que soient leur position ou leur naissance, pouvaient devenir des citoyens si on les éduquaient”, explique Semmelhack.

“Les femmes, par contraste, étaient vues comme émotives, sentimentales, et impossibles à éduquer. La désirabilité des femmes commence à être construite en termes de mode irrationnelle, et le talon (désormais séparé de sa fonction première, qui était de monter à cheval), devient un parfait exemple de vêtement peu pratique.”

[Why did men stop wearing high heels?]

(C’est amusant parce qu’au moyen âge et au début de l’époque moderne, le stéréotype prévalent c’était plutôt la femme rusée et calculatrice, et l’homme impétueux et naïf)

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En Angleterre, la grande renonciation atteint l’aristocratie avec les Lumières, par le biais de la figure du gentleman-farmer, qui a besoin de vêtements pratiques pour exploiter ses terres. Mais c’est à un roturier anglais qu’on doit l’avènement du costume comme seul idéal de la mode masculine.

Caricature de Brummell, par Dighton, 1805

George “Beau” Brummell était un dandy londonien qui vécut à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, et il a popularisé pratiquement à lui seul l’idée que nous nous faisons aujourd’hui de l’élégance masculine : un pantalon, une chemise, une veste d’inspiration militaire, et une cravate.

Si vous voulez en savoir plus sur lui et sur les subtilités incroyablement codifiées du costard, je vous recommande chaudement ce podcast d’Avery Trufelman :

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Et ce sera tout pour cette fois.

Portez-vous bien, à la semaine prochaine.

M.

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