Bonsoir tout le monde.

— et bienvenue aux nouveaux lecteurs arrivés sur les conseils de hellofdp et de Lauren Boudard de TechTrash. Faites pas attention au bazar, c'est toujours comme ça. J'aurai peut-être la force de ranger quand on pourra enfin sortir.

Allez hop, trois choses intéressantes.

1. La jarre à kimchi

La lacto-fermentation est à la mode ces derniers temps, et je m'en réjouis parce que les résultats sont vraiment trop bons.

(texte écrit en grignotant le merveilleux kimchi réalisé par mon excellente compagne)

Si les produits lacto-fermentés sont présents dans de nombreuses cuisines du monde (choucroute, kefir, miso, saucisson sec, j'en passe), les Coréens sont les maîtres incontestés de la fermentation des légumes. Ils fabriquent différents kimchi depuis des millénaires — on pense surtout au chou chinois épicé qui est le plus courant aujourd'hui, mais il y a toutes sortes de kimchi qui ne sont pas nécessairement pimentés.

Le banchan, assortiment d’accompagnements traditionnel du repas coréen

Traditionnellement, le kimchi est fermenté dans des jarres réalisées grâce à une technique de poterie particulière, qui porte le nom de onggi. En raison de la terre utilisée et du glacis appliqué avant la cuisson, le onggi a la particularité d'être perméable à l'air mais imperméable à l'eau et de bien résister à la lumière du soleil, ce qui permet d'obtenir les conditions idéales pour la fermentation des légumes.

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Les onggi étaient traditionnellement conservés à l'extérieur des maisons, généralement sur une sorte de terrasse prévue à cet effet :

Adbar — Onggi stockés à l'extérieur dans un espace nommé Jangdokdae au palais de Gyeongbok à Séoul

Selon la saison et les conditions climatiques, on réalisait des kimchi de différents légumes et dont la fermentation variait avec la météo.

Vous pouvez voir ci-dessous un petit documentaire sur le processus traditionnel de fabrication des onggi (en plus d'être merveilleusement agréable à regarder travailler, le potier ne manque pas d'humour) :

[Via DJ Rice KooKerZ]

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Aujourd'hui, les onggi ont été globalement supplantés par des frigos spéciaux pour kimchi, qui permettent d'assurer des conditions idéales de conservation et de fermentation aux différentes préparations, et de s'affranchir du rythme des saisons. Mais apparemment, "les Coréens continuent à consommer du kimchi selon les préférences saisonnières traditionnelles" — on estime leur consommation moyenne à 19kg par personne et par an.

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Anecdote finale — il n'y a pas que le houmous qui cristallise les tensions internationales : l'importance culturelle du kimchi en a fait un enjeu des relations entre la Corée du Sud et ses voisins, le Japon, la Chine et la Corée du Nord. J’aime particulièrement l’histoire de la distinction entre kimchi coréen et kimuchi japonais, et le fait que le kimchi ait été inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité suite à deux propositions parallèles de la Corée du Sud et de la Corée du Nord.

2. Mah-jong !

Le jeu de mah-jong a été créé en Chine dans la seconde moitié du XIXe siècle, à partir d'autres jeux de cartes et de domino préexistants, sans qu'on s'accorde à lui reconnaître une origine précise (j'ai lu quatre histoires différentes en deux heures).

Contrairement à ce que les jeux vidéo qui fascinent tant de nos aînés pourraient laisser croire, le mah-jong ne consiste pas à réaliser des paires de dominos, dominos qu'on appelle d'ailleurs des tuiles. Le mah-jong se joue à 4 et ressemble plutôt à nos jeux de cartes, notamment le rami (combinaisons), la canasta (préparation patiente de sa main, récupération codifiée de la défausse des autres joueurs), ou le poker (main partiellement ouverte, calcul des probabilités de piocher telle ou telle tuile).

Photo : Jasmin

En Chine, le mah-jong s'est d’abord diffusé comme jeu d'argent au début du XXe siècle, avec de nombreuses règles et variantes ultra-locales.

En Chine continentale, le mah-jong est illégal pendant la Révolution culturelle et la prohibition n'est levée qu'à partir de 1985. En 1996, devant la recrudescence du jeu d'argent illégal, le gouvernement chinois décide de développer et promouvoir une pratique « olympique » et « saine », avec la promotion du mah-jong au rang de sport et la création d'une règle de compétition (guobiao majiàng, ou règle chinoise officielle (CO), maintenant Mahjong Competition Rules (MCR)), dont une première édition est publiée en 1998.

[Mah-jong — Expansion et diversification sur Wikipédia]

Au Japon, le jeu a connu développement fulgurant après 1945, avec des règles standardisées sous le nom de riichi. C'est à cette variante que j'ai un peu joué, vers 2010, après avoir été fortement impressionné par Akagi :

Je repense parfois à la sensation des tuiles dans la main, à leur claquement un peu sourd, au plaisir de les arranger sur la table et, évidemment, à mes rares victoires avec une main stylée. Fondamentalement, c'est un excellent jeu d'argent : on gagne gros ou on perd gros, et évidemment on pense toujours qu'on va gagner gros parce qu'on se leurre sur le ratio skill / chance.

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D'après Wikipédia toujours, c'est à des Occidentaux qu'on doit les règles les plus alambiquées du mah-jong :

Les amateurs occidentaux qui, contrairement aux Chinois, ne jouent pas au mah-jong pour de l’argent, ont également apprécié de jouer à des variantes invitant les joueurs à réaliser des figures ou jeux [...] exceptionnels portant des noms très poétiques (« cueillir les fleurs du prunier sur le mur », « pêcher la lune au fond du puits », « les treize orphelins » ou encore « les neuf lanternes merveilleuses »…)

[Mah-jong — Expansion et diversification sur Wikipédia]

Le jeu, en effet, a connu une certaine popularité en Europe et aux États-Unis dans les années 1920 et 1930. Et, c'est là que je voulais en venir, il est devenu très populaire dans la communauté des Juifs américains, en particulier chez les femmes, qui jouaient elles aussi avec quantité de règles “maison”.

En 1937, un groupe de femmes juives fonda la National Mah Jongg League (NMJL), qui travaille encore aujourd’hui à harmoniser les règles du jeu [...] Cette stabilité a aidé le jeu à survivre. Mais le fait que des Juifs se soient impliqués dans la ligue ne suffit pas expliquer le phénomène du mh-jong juif. […]

[Ruth Unger, la présidente actuelle de la NMJL] est convaincue que le jeu s’est perpétué notamment parce qu’il est utilisé pour collecter des fonds pour les œuvres caritatives des organisations juives, notamment les sororités des synagogues et les différents chapitres de l’Hadassah. Ces groupes vendent des règles du jeu de mah-jong et reçoivent des dons de la ligue. Pour pouvoir vendre suffisamment de règles, elles doivent s’assurer que les gens s’intéressent toujours au jeu, donc elles continuent à apprendre le mah-jong à leurs membres.

[Is Mah-Jongg a Jewish Game?]

Au milieu du XXe siècle, en été, les Juives new yorkaises jouaient au mah-jong dans les divers hôtels et centres de villégiature des Catskills, avec des tuiles ornées de chiffres romains et des traditions pratiquement abstraites de toute référence à la Chine. Notons qu'en toute vraisemblance, pendant que Jennifer Gray faisait des acrobaties avec Patrick Swayze, sa mère était donc en train de jouer au mah-jong avec ses copines. Et, selon toute vraisemblance aussi, Baby y joue aujourd'hui avec ses propres copines :

Ces gamines qui regardaient les parties sont finalement devenues la génération suivante de joueuses de mah-jong. Pourtant, beaucoup d’entre elles ne pensaient pas suivre les traces de leurs mères. [...] Cooper déclare énergiquement “Nous ne voulions surtout pas être de ces vieilles badernes qui jouaient au mah-jong. Et regardez-nous, maintenant.”

[Is Mah-Jongg a Jewish Game?]

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Depuis novembre dernier, la start-up The Mahjong Line vend des jeux de mah-jong relookés et hors de prix pour essayer de séduire la jeune génération, en revendiquant le mah-jong comme un jeu américain. Ca fait un peu jaser.

Alors évidemment c’est vrai que c’est ridicule, mais je ne peux pas m'empêcher d'être amusé par les gens qui pensent que les choses qui avaient été adaptées aux goûts de leurs parents sont traditionnelles, immuables et dignes, alors que celles qui ciblent les goûts de leur génération sont d'un mauvais goût certain.

3. The Far Side

The Far Side est un comic écrit et dessiné par Gary Larson, qui fut publié dans les journaux américains de 1980 à 1995. Comme quantité d'autres BD, je l'ai découvert à la fin des années 1990 grâce au tenancier bourru de l'excellente librairie Bulles d'Encre, à Poitiers.

Le format de The Far Side est immédiatement reconnaissable : une seule case, souvent muette, avec une légende en dessous.

Il n'y a pas de personnages récurrents dans The Far Side, seulement des archétypes — cow-boys, scientifiques, nerds, psys, agriculteurs, vampires, bûcherons, chasseurs, animaux (avec une tendresse particulière pour les vaches), mais aussi amibes ou extra-terrestres. L'humour est absurde, et souvent fondé sur des jeux de mots, des expressions imagés, des clichés détournés ou pris au sens littéral.

Quand j'ai commencé à lire The Far Side je devais avoir 16 ans et mon niveau d'anglais était insuffisant pour saisir la majorité des gags. Mais je riais tellement quand j'en comprenais un que ça ne m'a pas découragé. Souvent, en relisant un album des années plus tard, j'ai eu le plaisir de réaliser que j'avais enfin une référence qui m'échappait jusque là. Un mystère de moins.

Parfois, néanmoins, il n'y a rien à comprendre.

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The Far Side a toujours été extrêmement populaire chez les scientifiques et les universitaires. J'ai lu une fois que le gag ci-dessous avait été choisi comme carte de voeux par un grand nombre de paléontologues pour le nouvel an 1982 :

J'adore aussi le destin de ce dessin :

En tant que linguiste, deux gags dont je ne me lasse pas :

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Il y a eu deux éditions en français de dessins choisis issus de The Far Side, à la fin des années 1980 puis vers 2000, mais elles semblent difficilement trouvables. Je ne les ai jamais lues et je ne peux qu'imaginer la difficulté à adapter le contenu pour le rendre attrayant et accessible au lectorat français. On peut s'en faire une idée en voyant les couvertures bardées de "Cavanna présente" ou autre "Le chef d'œuvre de l'humour américain" pour tenter d'appâter le chaland vers un dessin sans doute pas très vendeur.

Au moins, les recueils de The Far Side sont toujours édités en anglais, et on peut les commander sur Place des libraires, par exemple. Et il y a quelques mois, Gary Larson a enfin ouvert un site web dédié à The Far Side, afin d'assurer à ses dessins une présence officielle sur internet. Vous pouvez le visiter ici, quelques dessins sont publiés chaque jour.

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Et ce sera tout pour cette semaine.

À mercredi prochain.

M.

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