Bonsoir tout le monde.

J’espère que vous attaquez cette année dont le numéro m’échappe dans les meilleures dispositions, et que vous réussissez à passer entre les miasmes.

Allez, en piste.

1. Hypertypes

Lundi après-midi j’ai regardé un documentaire sur les chats sur arte.tv — il fallait bien trouver quelque chose qui intéressait mes enfants aussi — et je ne savais pas trop à quoi m’attendre, mais je n’ai pas été déçu du voyage.

J’ai d’abord appris que les chats domestiques présents en Europe ne descendent pas du chat sauvage européen, qui n’aime vraiment pas la compagnie des hommes. Les scientifiques interrogés identifient une première lignée de chats domestiqués au sud du bassin méditerranéen, issue du chat ganté d’Anatolie, et je garde en mémoire l’image incroyable de la tombe d’un homme et de son chat, enterrés face à face à Chypre, il y a des millénaires.

Comment le chat a conquis le monde

À l’époque romaine, ces premiers chats domestiques sont supplantés en Europe par une seconde lignée venue d’Égypte. On entend souvent que le chat était vénéré en Égypte antique, moi je pensais naïvement que les gens avaient des chats pour chasser les rongeurs, ou caressaient les chats errants. Mais non, ou en tout cas ça n’est pas l’information principale.

Comment le chat a conquis le monde

Le culte de Bastet s’était beaucoup développé entre -1000 et -500 av. J.-C., et on a découvert des nécropoles contenant littéralement des dizaines de milliers de momies de chats. Leur quantité invraisemblable et le jeune âge des chats au moment de leur embaumement tendent à prouver qu’ils étaient élevés à échelle industrielle, dans le but express de devenir des ex-voto. C’est vraisemblablement de cet élevage intensif de chatons sacrificiels que provient la majorité de nos chats domestiques (un excellent mémoire de master ici si vous voulez en savoir plus).

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Et j’avais à peine eu le temps de digérer tout ça qu’on passait au chat domestique contemporain.

Jusqu’au 19e siècle, les chats n’étaient pas sélectionnés pour leurs caractéristiques physiques. Ils étaient tous plus ou moins semblables et rayés. C’est dans le sillage de l’hystérie collective sur les races de chiens que l’on a commencé à créer et délimiter des races de chats, en sélectionnant chez les chatons les caractéristiques et mutations que l’on souhaitait favoriser.

Cette logique trouve sa pleine réalisation dans ce qu’on appelle aujourd’hui des hypertypes, c’est-à-dire “l'accentuation à l'extrême de traits distinctifs propres à une race animale domestique”. La sélection porte désormais souvent sur des mutations génétiques rares, voire des difformités. J’ai ainsi appris que tous les chats “sphynx” étaient issus d’une même et unique portée de chatons nés sans poil, au Canada, dans les années 1960, ou encore que les chats polydactyles (avec plus de doigts que la normale) ont un certain succès.

(Évidemment ces sélections ne sont pas sans effet sur la santé des animaux — un peu comme les dalmatiens qui deviennent pratiquement tous sourds ou comme les bergers allemands qui développent des problèmes de hanches parce qu’on les préfère avec le dos arrondi.)

Le plus sidérant était peut-être d’entendre parler de la sélection des chats en fonction de leur caractère, afin de les rendre plus affectueux et mieux adaptés à une vie en appartement. Quand on en arrive à déclarer que “le chat idéal a un caractère de chien”, je pense que c’est le moment de se poser des questions.

Comment le chat a conquis le monde

À un moment la voix off affirmait que les humains avaient peine à décoder les expressions faciales du chat et à comprendre ses sentiments. Pour ma part, je n’ai pas trop de difficulté à lire de l’angoisse existentielle dans les yeux d’animaux qu’on a volontairement créés malades et difformes.

Je ne comprends même pas à quel dieu nous les sacrifions.

2. Glitterati

Bret Easton Ellis a connu une gloire littéraire précoce dans les années 1980 avec Moins que zéro, un roman nihiliste sur la vie des gosses de riches à Los Angeles. Le livre est rapidement adapté au cinéma avec Andrew McCarthy, Robert Downey Jr. et James Spader (il est sorti en France sous le titre Neige sur Beverly Hills), mais l’adaptation est édulcorée au point d’être méconnaissable.

Ensuite, Bret Easton Ellis écrit Les Lois de l’attraction, qui continue dans la même veine, puis il défraie la chronique avec American Psycho, en 1991. C’est le livre dont tout le monde parle, même si personne ne sait s’il a un sens. Les droits d’adaptation au cinéma sont vendus dès 1992, mais la pré-production traîne pendant des années. Après une bataille acharnée, c’est Mary Haron, une réalisatrice alors surtout connue pour un film sur la féministe radicale Valerie Solanas, qui se charge de l’adaptation, avec un budget restreint.

Le film American Psycho sort en 2000 et rencontre un succès retentissant. Christian Bale devient une star, et Bret Easton Ellis redevient bankable.

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Les romans de Bret Easton Ellis sont liés entre eux par des personnages secondaires récurrents, un peu (toutes proportions gardées, hein) comme La Comédie humaine ou le Marvel Cinematic Universe. Ainsi Sean Bateman des Lois de l’attraction est le petit frère de Patrick Bateman d’American Psycho, et Victor Ward de Glamorama apparaît lui aussi dans Les Lois de l’Attraction.

En 2002, surfant la vague American Psycho, Roger Avary adapte Les Lois de l’Attraction au cinéma. James Van der Beek (connu pour son rôle de grand niaiseux dans Dawson’s Creek) y est à contre-emploi, au milieu d’un casting de gens relativement peu connus.

Roger Avary espère enchaîner directement sur une adaptation de Glamorama. Pour une séquence de quelques minutes mettant en scène Victor, personnage commun aux deux films, Avary fait une virée d’une semaine en Europe avec l’acteur Kip Pardue, qui reste dans son personnage pendant tout le voyage, et est constamment filmé à la DV. L’idée est de créer un pont entre Les Lois de l’attraction et Glamorama.

Las, Les Lois de l’attraction se plante misérablement, les critiques sont dégueulasses, et pour ma part je n’ai plus guère entendu parler de James Van der Beek depuis. Il ne reste de cette expérimentation que la séquence ci-dessus, quelques interviews absurdes de “Victor”, ainsi qu’un film fantôme, Glitterati, monté à partir des rushes tournés par Avary et jamais diffusé.

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Roger Avary a fait plusieurs tentatives pour relancer le Bret Easton Ellis Cinematic Universe, notamment en annonçant une adaptation du seul roman d’Ellis que j’aime, Lunar Park, mais ça aussi c’est au point mort. Ellis a aussi signé le scénario de plusieurs films depuis, qui ont tous été des échecs critiques et commerciaux.

C’est bizarre de penser que l’œuvre globalement sordide d’Ellis a flirté si longtemps avec le mainstream, avant que le charme ne soit rompu et que tout le monde ne prenne subitement conscience que c’est un vieux beauf. Et c’est étrange aussi que cette disgrâce ait été causée par Les Lois de l’attraction — que j’ai bien aimé quand je l’ai vu le mois dernier. Avec 20 ans de recul, le film paraît plus naïf que nihiliste, plus triste que sulfureux. C’est un film qu’on a envie de prendre dans ses bras en lui disant que c’est OK de pleurer, va.

3. Le son du prince

Une nuit d’insomnie encore, j’ai écouté ce documentaire d’Arte Radio qui raconte la trajectoire fulgurante et la vie trop brève de DJ Mehdi. Je vous le recommande vivement, même si a priori vous vous en cognez du 113 et de la French Touch, pour tout ce que ça raconte d’une époque aujourd’hui révolue :

Un peu après (en faisant une mixtape pour mon fils) je suis tombé sur ce clip, que je n’avais inexplicablement jamais vu :

C’est le single qui enterrine le virage électro de DJ Mehdi, alors qu’il vient de signer chez Ed Banger Records. Le clip a été réalisé par Romain Gavras, et je le trouve ambivalent. C’est une relecture du fameux épisode de Strip-tease consacré au tuning, avec la volonté de renverser le regard ethnographique un peu méprisant de l’original, pour aboutir à une sorte de naturalisme héroïque :

L'idée, c'est d'adapter cette histoire en un truc plus cinématographique, volontairement le plus réaliste possible, avec des morceaux de vie. Contrairement à ce personnage un peu énervant, Olivier veut lui faire de son protagoniste une sorte de super-héros "beauf hyper américain mais stylé comme les américains savent si bien le faire, avec un décalage cheap, mais toujours avec cet aspect stylé" avant de rajouter : "J'aime l'idée que dès que tu mets un jogging et que tu as une moustache, tout est beaucoup plus facile".

Romain contacte alors une bande de mecs habitués à ce genre de compétitions aux alentours de Lille pour qu'ils participent au clip.

[Culture Clip : "Signatune" de DJ Mehdi, une vidéo culte au sommet du tuning]

J’entends tout ça et pour autant je trouve qu’il reste un fond d’exotisme paternaliste dans le regard porté — j’ai envie de dire, exactement un regard de Parisien en week-end face au pittoresque provincial.

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Et ce sera tout pour cette fois.

Portez-vous bien, courage pour vos bonnes résolutions.

M.

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