Hey, y a plein de nouvelles et de nouveaux, bienvenue ! Venez, il y a de la place pour tout le monde, serrez-vous juste un peu sur les bancs, voilà, parfait, merci.
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Moi aussi j’ai poussé un grand soupir de soulagement le 7 juillet dernier vers 20h01, et j’ai réussi à conserver mon sourire incrédule pendant au moins 24h, avant de me résoudre à écouter la petite voix qui me disait que l’extrême-droite n’avait pas perdu.
En vérité tout ça était déjà là depuis longtemps, mais ne va faire qu’empirer à mesure qu’on progressera dans le cycle.
Je pense néanmoins que le petit répit que nous sommes parvenus à arracher (bravo, nous) peut être mis à profit pour faire des choses utiles et agréables.
1. Les tutos
Un des avantages de notre triste époque, c’est que le web permet de partager et de mettre en commun des compétences avec une simplicité et une efficacité inégalées. Cette semaine, par exemple, j’ai ramené mon sèche-linge d’entre les morts grâce à un tuto Youtube (merci, BootsOwen).
On trouve aussi des informations fort intéressantes sur l’arsenal de maintien de l’ordre dont dispose la police, les blessures qu’il inflige, mais les moyens de s’en protéger — c’est une lecture guère plaisante, mais pourtant éclairante à plus d’un titre :
Dans cet article, nous aborderons brièvement les moyens de nous protéger grâce à des masques à gaz, des armures, des boucliers, etc. D'autres articles explorent ces pistes plus en détail. Mais le principal moyen de nous protéger de la police est la solidarité. Nous devons nous protéger les uns les autres. Un bouclier en tête de cortège protègera beaucoup de personnes. Un médic qui soigne les personnes qui prennent des risques peut en protéger beaucoup. Quelques personnes risquant l'arrestation pour repousser la police peuvent en protéger beaucoup d'autres. Notre meilleure protection contre les armes anti-émeutes, c'est nous-mêmes. Le courage, ce n'est pas de ne pas avoir peur. C'est d'agir même si on a peur. Ensemble, nous pouvons vaincre notre peur.
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Je me dis qu’on pourrait aller plus loin encore, profiter des outils numériques dont nous disposons à peu près tous pour nous organiser. Imaginez si l’ingéniosité et les stratégies collectives mises en œuvre pour échapper aux radars automobiles étaient découplées de leur logique commerciale et étendues à d’autres domaines — ça, ce serait du crowdsourcing.
Peut-être que l’heure est venue de fonder une éthique du hacker débarrassée du mythe du héros solitaire.
2. Imprimer
Après ce paragraphe résolument techno-enthousiaste, je voudrais revenir à un peu à mes lubies — les vieilles machines, le papier, le DIY.
En 2011 on pouvait peut-être croire que twitter amènerait la démocratie dans le monde entier, aujourd’hui c’est plus dur de s’en convaincre. Peut-être que dans beaucoup de cas, le web n’est pas le moyen le mieux adapté pour transmettre des textes et des images à des gens susceptibles d’être intéressés. Quand on a moins besoin d’immédiateté que de savoir à qui on s’adresse, le papier reste, à mon avis, un bien meilleur support pour diffuser ses idées.
Surtout qu’un autre avantage du moment que nous vivons, c’est le coût ridiculement bas des imprimantes.
Je suis toujours sidéré du peu de considération dont jouissent les imprimantes de nos jours. Ce sont de loin mes machines favorites — chacune un petit miracle de miniaturisation, capable de prouesses inimaginables il y a seulement 30 ans, merveilleusement mécaniques, concrètes, et qui pourtant ont la réputation d’être un peu nazes et réservées aux vieux fossiles comme moi.
Évidemment, la faute est d’abord chez les constructeurs, qui les vendent comme des appareils tout confort alors que ce sont des bêtes délicates, qui exigent un réel effort de maintenance — une imprimante jet d’encre, comme son nom l’indique, ça utilise de l’encre, encre qui sèche dès qu’on ne s’en sert pas et vient obstruer les buses de la tête d’impression. C’est donc le pire appareil possible pour des consommateurs qui en ont un besoin très occasionnel, et pourtant c'est exactement ce qu'on leur vend.
De plus, les constructeurs fondent sciemment leur business model sur des cartouches d’encre trop petites, verrouillées par DRM, jetables, invraisemblablement chères. Tu m'étonnes que les gens les détestent.
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Et puis il y a le côté software. Les pilotes à installer sont lourds et capricieux, souvent buggés, rapidement obsolètes, puis plus mis à jour. Et il n’est guère d’expérience plus démoralisante que de voir une machine qui semble parfaitement fonctionnelle, mais refuse d’imprimer quoi que ce soit.
Si vous me permettez une petite tangente, je vous offre cette histoire merveilleuse d’un nerd qui hacke le serveur intégré à l’imprimante de sa copine pour qu’elle parvienne enfin à imprimer ce qu’elle voulait :
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Tout ceci étant dit, je ressens toujours, après toutes ces années, le même émerveillement quand je clique sur « Imprimer » et que je vois sortir de la machine ce que j'avais demandé.
C’est une liberté folle que de pouvoir imprimer ce qu’on veut, tel qu'on l'avait imaginé. Même si je n'ai jamais utilisé LaTeX (Dieu m'en préserve), je reprends volontiers à mon compte ces mots d'Éric Guichard sur le sens et l'intérêt de la mise en page :
Mais dans composition, il y a aussi l’exercice littéraire du lycée, parfois appelé dissertation ; et aussi une part de créativité : « un plat de ma composition ; une cantate de ma composition » . En bref, avec la notion de composition, nous circulons entre : - les techniques de fabrication, - l’inventivité et la créativité, - l’exposition d’une pensée.
On m’a récemment signalé cette page qui date un peu, mais donne des conseils toujours pertinents si vous voulez vous lancer dans l’impression à domicile :
Hormis la plieuse, c’est, bon an, mal an, exactement ce avec quoi j’ai commencé (une imprimante laser, un massicot, une grande agrafeuse). Si quelque chose a changé en dix ans, c’est plutôt le côté logiciel — j’ai pas essayé Scribus depuis longtemps alors je préfère vous recommander Affinity Designer, qui est incroyablement efficace pour un prix fort modique.
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Je vais pas cracher sur les fanzines d’expression personnelle, c’est ce que je fais moi aussi, mais une fois qu’on a un minimum de matériel, on peut imprimer plein d’autres choses aussi pour coût vraiment minime — et aller les déposer où on veut, les vendre, les afficher, les mettre dans les boîtes aux lettres... tout cela dans le petit bain d’un périmètre qu’on connaît et choisit.
Les campagnes de collages féministes de ces dernières années ont montré la puissance d’une identité visuelle forte, facile à reproduire avec un matériel minimal, et adaptée à une mise en œuvre collective.
À vous de jouer.
3. Écrire pour les autres
J’ai déjà parlé dans cette newsletter de mon expérience d’écrivain public. Je me suis récemment trouvé à répondre à une amie qui voulait se lancer — et je me dis que ça peut intéresser d’autres personnes aussi :
Pour répondre à tes questions : tu peux tout à fait devenir écrivain public sans formation spécifique et être déjà utile à beaucoup de gens. Au début on galère un peu à comprendre les formulaires à remplir (celui pour demander la CMU est particulièrement tortueux, dans mon souvenir), mais en lisant attentivement les consignes et à force d’habitude on s’en sort. Une grande part du travail consiste aussi à aider les gens à faire des démarches sur internet ou à installer des applications sur leur smartphone, en démêlant les galères de codes par SMS, en les aidant à récupérer un mot de passe oublié, etc. Pour les courriers administratifs qui accompagnent un gros dossier ou pour les gens qui ont besoin d’un recours, il y a des modèles disponibles en ligne qu’il faut bien suivre parce que c’est très codifié. Ce sont les tâches qui correspondent le plus à ce qu’on s’imagine quand on devient écrivain public, et l’occasion de faire preuve d’une certaine créativité pour présenter la situation des personnes sous le meilleur jour possible. Des fois il s’agit seulement d’aider les personnes à faire le tri dans la tonne de papiers qu’ils ont mais qui les terrorise. Le seul domaine dans lequel il faut être très prudent et se documenter, c’est tout ce qui a trait aux titres de séjour et à la correspondance avec la préfecture. C’est le seul cas où il vaut parfois mieux ne pas contacter l’administration pour ne pas mettre les personnes sur leur radar, quand les gens sont dans un cas limite ou une zone un peu grise. Par exemple, il y a une possibilité de régularisation pour les sans-papier qu’on appelle « circulaire Valls », dont les règles sont assez floues et dont les dossiers sont entièrement soumis à l’appréciation de la préfecture, sans possibilité de recours — donc il faut à tout prix que le dossier soit irréprochable avant l’envoi parce ça met les gens en danger de se signaler comme sans-papier à la préfecture. Pour ces dossiers-là, le mieux est de se faire accompagner par des interlocuteurs compétents comme la section locale de la Cimade et le Gisti, qui sont débordés mais répondent aux mails quand on leur explique précisément le problème. Globalement, pour tout ce qui touche au droit des étrangers, le Gisti est une ressource inestimable. Il y a beaucoup de choses sur leur site, et ils publient aussi de nombreux guides papier fréquemment mis à jour dont tu peux peut-être demander l’achat à la structure dans laquelle tu travailleras, s’ils ne les ont pas déjà. Ça va avoir l’air bête mais ce qui m’a le plus surpris dans le boulot d’écrivain public, et le plus appris sur le plan personnel, c’est qu’il faut apprendre à connaître les gens pour pouvoir remplir leurs papiers. Les personnes qu’on reçoit s’ouvrent complètement, on se retrouve à éplucher leurs comptes ou à connaître toute leur vie. Pour des dossiers type demande de nationalité ou surendettement, on se revoit de semaine en semaine parce que c’est très long et qu’il manque toujours un papier. Je ne suis pas très doué pour les relations interpersonnelles en temps normal, et là bizarrement je voyais des personnes vulnérables et que je ne connaissais pas du tout me faire toute confiance. C’est gratifiant mais aussi assez déstabilisant, au début.
Si ça vous intéresse, j’avais écrit un long texte sur le boulot d’écrivain public dans un vieux zine — vous pouvez le lire ici :
Cette newsletter était infiniment plus longue que prévu, pfiou, et maintenant je vais prendre quelques semaines de vacances — il y aura toujours des newsletters, mais elles seront irrégulières et vraisemblablement courtes et estivales, avec le couteau sorti d’entre les dents et sagement rangé dans la poche.
Portez-vous bien.
M.
Bonus track – l’invasion des profanateurs de nom de domaine
Les meilleurs trucs que j’ai pu lire ces dernières semaines :
un extrait du dernier bouquin de Naomi Klein, cité par l’excellente newsletter Cabrioles, et qui expose implacablement le pipeline écolo > fitness > santé alternative > complotisme > extrême-droite :
un article qui remonte à 2019 mais n’a rien perdu de sa pertinence sur l’antisémitisme à gauche :
L’antisémitisme ne fait pas à proprement parler partie des fractures de la gauche radicale. Les positionnements sur cette question varient peu d’une organisation de gauche à l’autre. Au contraire, celles-ci ont souvent en partage un désinvestissement de ce thème perçu comme secondaire voire négligeable, relativement à d’autres formes de racialisation. Plutôt qu’une fracture, c’est donc davantage un silence qu’il s’agit d’interroger ici, en plaidant pour une critique radicale de l’antisémitisme à l’heure où celui-ci a des effets pratiques et idéologiques jusque dans les formes que prennent certaines luttes sociales