Bonsoir tout le monde,

Cette semaine c’est pas la grande forme, mais je tâche de tenir le cap tant bien que mal. Et le cap, c’est : trois choses intéressantes.

1. Umami

En plus des quatre saveurs traditionnelles qu’on connaît dès l’école (sucré, salé, acide, amer), il en existe une cinquième dont l’existence a longtemps fait débat, et qui porte le nom d’umami. “Bien qu'on puisse le décrire comme un goût plaisant de « bouillon » ou de « viande » avec une sensation durable, appétissante et recouvrant toute la langue, l’umami n’a pas de traduction”, nous dit Wikipédia. L’umami, disons que c’est un goût de reviens-y, le point commun entre le goût des lardons et celui d’une tomate mûre, de la sauce soja, du parmesan, de la soupe miso, ou des oignons grillés.

Isoler cette saveur est d’autant moins évident que le sucré, l’acide, le salé ou l’amer apparaissent souvent en premier plan, alors que l’umami est plutôt une saveur de fond et un puissant exhausteur de goût. Il se caractérise par sa profondeur et sa longueur en bouche, mais aussi par sa rondeur. Il est discret mais bien présent, tapissant toute la langue et laissant une sensation durable.

[Umami : la cinquième saveur expliquée]

L’exemple de la viande est le plus courant, et ce n’est pas sans poser de difficultés aux gens qui deviennent végétariens ou végans, s’ils suppriment les produits d’origine animale de leur alimentation sans leur trouver de substituts.

Dans la communauté végan, il y a une croyance très répandue : que la nourriture d’origine animale est “addictive”. Ca va avec l’idée que devenir végan est une “détox”, et suggère qu’adopter un régime végan est une terrible épreuve, semblable à une cure de désintoxication. Je crois plutôt que le fait que la préférence pour les produits d’origine animale soit avant tout une question de goût est une excellente nouvelle. Ajouter des ingrédients qui donnent de l’umami aux plats peut être une manière simple d’aider les gens à trouver ce qui leur manque dans les régimes végans.

[Is Umami a Secret Ingredient of Vegan Activism?]

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Chimiquement, on a fini par établir, dans les années 1980, que la composante majeure de l’umami est la présence de glutamate monosodique, un acide aminé qui est depuis souvent utilisé comme additif par l’industrie agro-alimentaire (de fait j’en avais acheté en poudre dans un supermarché asiatique, et ça fonctionne hyper bien comme exhausteur de goût).

Mais on peut aussi se baser sur des produits qui contiennent naturellement les substances qui produisent le goût umami. Je suis tombé sur des conseils de chefs végés pour mettre de l’umami dans leurs recettes, et franchement tout a l’air trop bon. Personnellement, mes ingrédients star et pas chers : des oignons partout, surtout frits, des champignons grillés, des olives noires, de la levure de bière, du jus du kimchi ; et (plus cher) de la pâte miso et de la poudre de cèpes.

2. La naturalisation

Depuis bientôt deux ans, je fais partie du réseau d’écrivains publics mis en place par la ville de Montreuil. Les gens viennent dans les permanences pour beaucoup de raisons différentes (titre de séjour, difficultés avec Pôle Emploi, assurance maladie, retraite, formation professionnelle, etc.), soit parce qu’ils n’ont pas accès à un ordinateur ou ne savent pas s’en servir, soit parce qu’ils ne maîtrisent pas assez bien le français — notre administration est ainsi faite que c’est aux gens en difficulté qu’on réserve les formulaires les plus pléthoriques et imbitables.

Le tout premier formulaire que j’ai aidé à remplir, lors de mon stage d’observation

Cela fait deux fois que j’accompagne de mon mieux des personnes qui souhaitent acquérir la nationalité française. Je n’ai pas de formation juridique, et j’ai donc découvert à cette occasion un certain nombre de distinctions subtiles dont je ne soupçonnais pas l’existence, et que je voudrais vous faire partager.

Obtenir la nationalité française par naturalisation n’est pas un droit, même lorsqu’on remplit toutes les conditions imposées par la loi. Les conditions prévues par la loi déterminent si une demande est recevable. Ensuite, l’autorité administrative décide de manière discrétionnaire de l’opportunité d’accéder à cette demande. “Discrétionnaire” ne signifie pas pour autant “arbitraire”, puisqu’un rejet ou un ajournement de la demande doit être motivé.

Les choses deviennent particulièrement piquantes lorsqu’on examine de près les motifs donnés par les préfectures ou le ministère de l’Intérieur, comme le fait le gisti (Groupe d'information et de soutien des immigré·e·s), un groupe de juristes extrêmement pointu et engagé pour les droits des étrangers. Plutôt que de me lancer dans de longues explications qui dépassent mes compétences, je me permets de vous donner quelques exemples parmi les nombreux cités dans le “dossier noir des naturalisations” :

Ministère de l’intérieur, sous-direction de l’accès à la nationalité française, 6 septembre 2011
T., jeune majeur, est arrivé en France à l’âge de six ans. Toute sa famille (ses parents et son frère) a été naturalisée grâce à l’effet collectif, mais lui est devenu majeur pendant le traitement de la demande, qui a duré plus d’un an. Il a donc été invité à redéposer sa demande indépendamment de celle de ses parents, et s’est vu ajourné à deux ans au motif que, étant étudiant, il ne subvenait pas à ses besoins. L’ajournement a été confirmé le 25 janvier 2012 après un recours gracieux, un recours contentieux est pendant devant le tribunal administratif.

[Ressources stables et suffisantes en France - Insuffisance]

Préfecture du Bas-Rhin, 21 décembre 2011 et Ministère de l’intérieur, 9 mai 2012
Mme S.R. est une jeune étudiante en philosophie qui a été prise en charge par l’ASE depuis l’âge de six ans et jusqu’à sa majorité (elle aurait donc pu obtenir la nationalité française pendant sa minorité mais les indications erronées fournies par l’administration l’ont découragée de poursuivre ses démarches). Sa demande de naturalisation est ajournée à deux ans pour défaut d’« autonomie matérielle pérenne ». Or, elle parvient à subvenir à ses besoins et à financer ses études de manière autonome depuis qu’elle est majeure, grâce à une bourse et à un poste d’assistante d’éducation au sein d’un lycée, puis d’un contrat à durée indéterminée en qualité de vendeuse. Bien que cette décision aille à l’encontre des préconisations de la circulaire Valls du 16 décembre 2012 concernant les demandeurs de moins de 25 ans scolarisés depuis cinq ans en France et résidant depuis plus de dix ans sur le territoire, la sous-direction de l’accès à la nationalité française a confirmé la décision : le fait d’être une bonne étudiante, capable de financer ses études par soi-même, ne suffit pas à attester d’un « potentiel manifeste d’employabilité », pour reprendre les termes de la circulaire ministérielle.
L’intéressée a déposé un recours devant le tribunal administratif de Nantes. Dans son mémoire en défense le ministre fait valoir que son activité professionnelle reste accessoire à son activité principale d’étudiante et que ses revenus restent insuffisants pour caractériser une autonomie financière durable.

[Ressources stables et suffisantes en France - Instabilité]

Créteil, Préfecture du Val de Marne, 24 septembre 2012

Mme X a vu sa demande rejetée pour défaut d’assimilation ; refus motivé par le fait qu’elle n’aurait, durant l’entretien, manifesté « aucun souhait » de rejoindre la communauté nationale pour « en partager les valeurs ». Cette décision illustre la liberté laissée à l’administration quant aux questions posées et à l’interprétation des réponses apportées pour évaluer l’assimilation des personnes demanderesses.

Créteil, 21 mai 2012

M. et Mme H, tunisiens, sont entrés régulièrement en France, Mme en 2004 afin d’y poursuivre des études, M. en 2006. Mme a obtenu un DEA puis un doctorat en informatique avant de demander et d’obtenir un statut de salariée. Elle exerce actuellement en qualité d’ingénieur développeuse en CDI depuis le 6 juin 2011. M. est ingénieur en informatique également en CDI depuis 2007. Le couple est propriétaire de son logement à Ivry-sur-Seine.

Leurs deux demandes de naturalisation sont rejetées au motif que, par leur méconnaissance des principes et valeurs essentiels de la République française, M. et Mme H n’ont pas fait preuve de motivation particulière pour rejoindre la communauté française.

Or au cours de l’entretien mené à la préfecture, les questions posées portaient sur la confession musulmane des intéressés et leur pratique de l’Islam alors même qu’ils avaient tous deux affirmé qu’ils pratiquaient un Islam tolérant et étaient attachés aux valeurs de la République française dont la laïcité. Madame a également du justifier le fait qu’elle n’allait pas à la piscine et répondre à la question : « voyagez vous seule sans votre époux » ?

M. et Mme H. ont introduit un recours hiérarchique le 27 juillet 2012.

[Us et coutumes / adhésion aux principes et valeurs essentiels de la société française]

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Je m’arrête là mais il y en a des pages et des pages comme ça. En tout cas je ne suis pas certain que je parviendrais à acquérir la nationalité française si d’aventure je venais à la perdre, car je me vois mal expliquer sincèrement que je souhaite rejoindre cette communauté nationale pour partager ses valeurs.

3. Les assistants

Il y a quelques semaines, j’ai vu passer sur twitter cet incroyable diagramme qui cartographie les liens existants entre les dessinateurs japonais — qui a été l’assistant ou le collaborateur de qui, qui a épousé qui, etc.

[MANGAKAS & ASSISTANTS CHART - Josue Polo Lopez il y a deux autres diagrammes sur la page Behance]

C’est un peu fou de voir les liens professionnels qui s’étendent sur plusieurs générations, et de confirmer parfois l’intuition d’un cousinage entre des séries d’auteurs différents. Je serais très curieux de voir un diagramme similaire pour les animateurs. Je sais que Hideaki Anno a fait ses armes sur la série Macross et a trouvé la reconnaissance grâce à son travail sur Nausicaä de Miyazaki, ou que Mamoru Hosoda devait initialement réaliser Le château ambulant, avant d’être remercié pour “différent créatif”, mais ce serait intéressant d’avoir une vue d’ensemble.

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Le seul vague équivalent que je vois dans la BD franco-belge, ce sont les liens forgés par les auteurs qui travaillaient au sein du même journal : Tintin, Spirou, Pilote, Fluide Glacial ou L’Écho des savanes, selon la génération. Mais il me semble que même s’il existait évidemment des différences de prestige et d’expérience entre les auteurs, il n’y avait pas ce lien hiérarchique. La bande dessinée européenne était peut-être plus attachée au couple dessinateur-scénariste, et surtout moins industrialisée.

En effet, s’il y a tant d’assistants au Japon, c’est parce que le rythme de publication effréné des mangas populaires serait impossible à tenir sans l’aide d’une équipe. Et même avec une équipe, c’est un travail proprement éreintant. En 2016, Masashi Kishimoto, l’auteur de Naruto (un manga incroyablement populaire, qui compte 700 chapitres publiés en 14 ans, donc pratiquement un par semaine), avait donné un aperçu de son emploi du temps hebdomadaire à l’époque de la publication de sa série :

Sincèrement c’est absurde et inhumain, personne ne devrait passer 19 heures d’affilée à sa table de dessin, même si tout le monde veut savoir la suite. Les chapitres de Boruto, la suite de Naruto, sont publiés chaque mois, c’est déjà un progrès.

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(Je ne peux m’empêcher de penser que c’est la faute de ces cadences intenables si Ai Yazawa a interrompu la publication de Nana, et se consacre aujourd’hui à des projets plus modestes)

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Et ce sera tout pour cette semaine.

Portez-vous bien, faites attention à vous.

M.

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