Bonsoir tout le monde.

Cette semaine j’ai pas trop la tête à me lancer dans des trucs alambiqués, ni pour autant l’envie de vous infliger mes analyses politiques et/ou épidémiologiques, donc ce sera bref.

1. La petite distribution

Je lisais ce matin grâce à NESTED! un article sur le modèle économique singulier des distributeurs automatiques aux États-Unis, qui ne se prête pas à la concentration — sitôt qu’il faut des employés, les profits deviennent trop faibles, alors la grande majorité des distributeurs automatiques appartiennent à des indépendants, qui en exploitent seuls une dizaine tout au plus. Il est rare d’arriver à en faire une activité principale, mais ça peut constituer un complément de revenu appréciable.

Depuis le début de la pandémie, il semble que beaucoup de gens s’achètent un distributeur et se lancent pour tenter de se faire un peu d’argent, eux aussi, comme l’explique dans l’article un type qui propose des formations spécialisées :

« Beaucoup de travailleurs manuels sont en train de réaliser que leur emploi n’est pas aussi stable qu’ils le croyaient », affirme M. Strickland. « Nous avons beaucoup de demandes de la part de gens qui ont perdu leur travail, ou qui font moins d’heures, et qui se tournent vers les distributeurs automatiques pour prendre les choses en main. »

[The economics of vending machines]

Cet article m’a surtout rappelé une histoire lue il y a des années, sur HackerNews je pense, où un Américain racontait que pour ses 8 ans, son père lui avait acheté un distributeur automatique en guise d’argent de poche — charge à lui, désormais, de gérer ses stocks et ses marges pour gagner son argent.

Il a loué la machine, lui a trouvé un emplacement dans un atelier du coin, et il l’a installée. Puis il m’a dit deux choses :
  1. Que c’était la dernière fois qu’il me donnait de l’argent de poche.
  2. Et que si je voulais avoir de l’argent la semaine prochaine, j’avais intérêt à dépenser celui de cette semaine pour remplir le distributeur.

[My dad taught me cashflow with a soda machine]

Je ne sais pas ce que je trouve le plus étrange et radical entre ça et le type qui a appris le klingon à son fils.

[Distributeur de plaisir par Gauthier V.]

En passant, je profite de l’occasion pour citer la collection de distributeurs improbables (lingots d’or, chambres à air, aligot...) de @temptoetiam :

[Cliquez sur le tweet pour voir toute la collection]

2. Cordon sanitaire

La semaine dernière, un petit scandale a secoué le monde de l’édition allemande. La prestigieuse maison S. Fischer n’a pas renouvelé son contrat avec l’écrivaine Monika Maron, qu’elle publiait depuis 39 ans. Monika Maron a grandi en RDA, avec un beau-père extrêmement haut placé dans le parti unique, ce qui ne l’a pas empêchée de critiquer de plus en plus ouvertement le régime, tant et si bien que son premier roman a finalement paru à l’Ouest, en 1981. Elle a fini par s’établir à l’Ouest en 1988, avant de retourner vivre à Berlin en 1993. Ses romans ont reçu de nombreux prix parmi les plus prestigieux d’Allemagne.

Mais depuis une dizaine d’années au moins, les écrits et les prises de position publiques de Monika Maron se sont caractérisées par un net virage à droite — visant notamment la politique d’accueil de réfugiés d’Angela Merkel, et la bien-pensance des gauchistes, à cause desquels on peut plus rien dire.

Cette droitisation a culminé avec la publication, début 2020, d’un recueil d’essais polémiques dans une petite maison d’édition d’extrême-droite. Sa maison d’édition historique, S. Fischer Verlag, a donc mis un terme à sa collaboration avec elle, indiquant qu’on ne pouvait pas publier en même temps chez eux (sous-texte : dans une maison d’édition dont les fondateurs, juifs, avaient dû fuir l’Allemagne en 1933), et dans une maison qui collabore avec Götz Kubitschek, figure de la « nouvelle droite », c’est-à-dire l’extrême-droite identitaire et intellectualisante qui fait florès à l’est de l’Allemagne. Aujourd’hui, Monika Maron et ses amis jouent donc une partition bien connue en France, celle des libre-penseurs censurés par les ennemis de la liberté qui refusent le débat.

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Je trouve qu’on parle peu en France de la montée de l’extrême-droite en Allemagne, qu’on n’évoque pas assez la place de l’ancienne RDA là-dedans, et en tout cas qu’on n’interroge jamais le processus de réunification de l’Allemagne, qui est toujours présenté comme une réussite totale. À ce titre, j’ai été particulièrement intéressé par cet entretien avec Elisa Goudin-Steinmann sur France Culture :

3. No

Le récent référendum sur la nouvelle constitution du Chili m’a fait repenser à un film vu le mois dernier, No, à propos d’un référendum organisé par Pinochet en 1988 :

En fait de référendum, il s’agissait plutôt d’un plébiscite : les Chiliens pouvaient voter Oui ou Non à huit nouvelles années de Pinochet. Et pour donner des gages d’impartialité, les autorités avaient accordé au camp du Non le droit de faire campagne à la télévision (30 minutes quotidiennes, au milieu de la nuit). Le film raconte donc comment une agence de pub a conçu la campagne du Non pour le compte des partis de gauche — c’est Mad Men contre Pinochet, en gros. Le nœud du film, c’est la difficulté à trouver une manière d’exprimer les choses capable de convaincre et de rassembler, quand on aurait surtout envie de dénoncer les crimes et les injustices du régime, pour une fois qu’on a la parole.

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(Anecdote finale : comme le film s’appelle simplement « No », il y a apparemment eu un certain nombre de commandes par inadvertance sur les assistants à commande vocale d’Amazon et consorts.)

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Et ce sera tout pour cette semaine.

Bon courage pour les semaines qui s’annoncent, prenez soin de vous.

M.

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