Bonsoir tout le monde.

Cette semaine je suis en Hollande, où j’ai eu du temps pour marcher sous la pluie, manger de délicieux sandwiches pleins de gras, faire du vélo, et apprendre quelques histoires divertissantes — en voici déjà une, je vous en raconterai sûrement d’autres dans les semaines qui viennent.

1. La cabane de Pierre le Grand

En 1682, Pierre Ier de Russie devient tsar alors qu'il n'est âgé que de 10 ans. Jusqu'en 1696, il partage le trône avec son frère Ivan V, plus âgé mais pas en état d'exercer le pouvoir ("C'est le seul cas dans l'histoire de Russie où deux tsars règnent conjointement. Ce double tsarat permet de concilier les ambitions dynastiques des deux familles concurrentes, et d'autre part de pallier les faiblesses d'Ivan, débile, aveugle et à la motricité réduite", nous dit Wikipédia, avec une franchise quelque peu inhabituelle).

Fin 1696, le jeune Pierre de Russie décide de voyager en Europe avec une ambassade, dans l’espoir d’y nouer des alliances contre les Ottomans, et de voir de plus près les techniques occidentales de construction navale, qui le passionnent.

Et c'est ainsi qu'en 1697, après un séjour en Prusse, Pierre Ier se retrouve à Zaandam, à quelques kilomètres au nord-ouest d'Amsterdam, chez un forgeron qu'il avait rencontré en Russie. Le jeune tsar essaie de loger incognito dans une petite maison de bois attenante à celle du forgeron, mais il est rapidement découvert et n’y passe finalement qu'une semaine, avant de partir pour Amsterdam. Il y reviendra tout de même 20 ans plus tard, en 1717. La légende de la maisonnette de Pierre le Grand est née.

À gauche, la cabane du tsar ; à droite, la maison du forgeron

La cabane, une construction rustique et déjà vieille de près d’un siècle, devient dès le XVIIIe siècle un site touristique : tout le monde veut voir la maisonnette du tsar. Le tourisme était alors certes l’apanage des grands bourgeois et des aristocrates, mais ils n’étaient manifestement pas mieux élevés que la moyenne, puisqu’à peu près toutes les surfaces de la cabane sont couvertes de signatures et de graffiti (jusqu’aux fenêtres, que ces gougnafiers gravaient avec les diamants de leurs bagues). On peut même voir un grand N bleu laissé, paraît-il, par Napoléon Ier.

Au XVIIIe siècle, la cabane fut sauvée de la démolition par un aubergiste du coin. Plus tard, en 1818, la maison de bois fut acquise par le roi Guillaume Ier pour en faire cadeau à sa belle-fille russe, Anna Pavlovna, la sœur du tsar Nicolas Ier. (…) En 1948, l’URSS restitua la maison aux Pays-Bas.

[Czar Peter House - Atlas Obscura]

En 1895, malgré les mesures prises par Anna Pavlovna pour protéger la cabane des éléments, son état s’est beaucoup dégradé, et les architectes néerlandais Gerlof et Abraham Salm sont chargés par Nicolas II de lui bâtir un sorte d’exosquelette en briques.

Les architectes s’inspirent du style des églises orthodoxes de l’époque, et c’est grâce à eux que l’on peut encore voir la petite maison aujourd’hui.

Elle est d’ailleurs remarquablement bien préservée pour une modeste cabane qui va sur ses 400 ans, si ce n’est que les murs penchent fort (on a vite la tête qui tourne quand on est à l’intérieur).

Le plus surprenant est que la cabane est désormais à l’intérieur d’un autre bâtiment ; cette enveloppe externe a elle-même été classée monument historique en 2001 et a nécessité une restauration complète en 2013, et je me dis que ce serait peut-être une bonne idée de créer une troisième maison au-dessus des deux précédentes, à tout hasard.

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En attendant, les Néerlandais ont fait cadeau à la Russie d’une réplique de la cabane de Pierre le Grand, qu’on peut voir à Moscou. Il y a même les signatures et les graffitis (mais les murs sont droits).

2. Métapocalypse

« Mitigation of Shock » est une installation du collectif Superflux, qui vise à représenter un appartement londonien d’un futur proche, ravagé par la catastrophe climatique :

Mitigation of Shock est une expérience qui donne une forme viscérale et immersive aux conséquences à venir du bouleversement climatique. Superflux voulait que le public puisse faire l’expérience intime de la vie au temps des pénuries causées par le changement climatique, et des adaptations possibles pour tempérer leurs pires effets.

L’équipe a conçu et construit un appartement d’un futur proche, avec un système informatique improvisé à partir des déchets d’une utopie technologique qui n’aura jamais pleinement existé. Des empilements de cultures vivrières expérimentales occupent les espaces de vie autrefois dévolus à la détente. Des produits de consommation récupérés tels que des étagères IKEA, des machines à fumée, et des ventilateurs d’ordinateurs ont été ingénieusement intégrés avec des microcontrôleurs programmables, du matériel de plomberie, et des lampes à LED. Les plantes poussent dans une brume riche en nutriments, sans terre, ni eau, ni soleil. Des boîtes remplies de vers de farines vivants s’agitent à côté de celles contenant des champignons comestibles, qui poussent sur des bûches en carton recyclé. Des peaux de renards, des collets, et des cartes tracées à la main montrant l’emplacement de plantes comestibles suggèrent que les habitants vivent de chasse et de cueillette urbaines. Des signes issus du monde extérieur pénètrent dans l’espace : une radio diffuse un bulletin d’information horaire ; les journaux de la table basse datent de 2050 ; et la fenêtre laisse voir la ville du futur.

[Mitigation of shock]

Mi-juillet, des pluies torrentielles se sont abattues sur Londres, causant des inondations pratiquement instantanées. Il est vraisemblable que les effets des inondations ont été aggravés par les sous-sols gargantuesques des ploutocrates londoniens, dont je vous parlais l’an dernier.

L'installation de Superflux, en tout cas, a pas mal souffert :

Comme avec beaucoup de choses en ce moment, je ne parviens plus trop à trouver l’envie de rire de l’ironie du sort.

3. L’hôtel flottant

Pour finir sur une note un poil plus gaie, je vous propose cette vidéo (repérée par @Moritzou), qui raconte l’histoire invraisemblable du premier hôtel flottant au monde, initialement installé en pleine mer, dans la grande barrière de corail australienne — mais qui n’y resta pas bien longtemps, finalement :

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Et ce sera tout pour cette fois. Vendredi je pars faire du vélo dans les îles de la mer des Wadden, la météo est dégueulasse, je ne manquerai certainement pas de vous raconter mes propres histoires d’inondation.

Portez-vous bien, vaccinez-vous, gardez vos masques et votre courage.

M.