Bonsoir tout le monde.

Allez venez vous mettre au chaud, prenez un thé, je vous raconte trois trucs intéressants.

1. Lénine en Antarctique

Jeudi dernier (en faisant mon ménage, si vous voulez tout savoir), j'ai entendu l'histoire invraisemblable du buste de Lénine déposé par une mission scientifique russe au pôle sud d'inaccessibilité, c'est-à-dire le point de l'Antarctique le plus éloigné des côtes.

Plein de photos ici

Arrivée début décembre 1958 aux coordonnées visées, l'expédition russe établit une base, mais les conditions météo vraiment intenables la forcent à en partir au bout de 12 jours seulement. Pour marquer leur passage, les scientifiques décident de déposer en haut de la cheminée un buste de Lénine (que quelqu'un avait dû emporter à tout hasard), fièrement tourné vers Moscou.

Une mission cartographique américaine est passée en 1965 et a tourné le buste vers Washington, pour la blague, avant que Lénine ne soient réorienté à nouveau par une seconde mission soviétique en 1967. Et puis plus rien pendant quarante ans (il y a eu d’autres expédition vers le pôle sud d’inaccessibilité, mais les coordonnées choisies avaient changé entre temps), jusqu’en janvier 2007, où une expédition d’aventuriers amateurs britanniques et canadiens, fermement décidés à voir si Lénine était toujours là, se rend sur le site.

La majeure partie du piédestal était enfouie sous des décennies de neige antarctique accumulée, rendant le Lénine du pôle d’inaccessibilité un peu plus accessible. Les visiteurs pouvaient désormais l’atteindre à pied. Mais cela n’augure rien de bon pour l’avenir du buste. Le pôle a reçu quelques visites depuis, et chaque fois la glace avait encore gagné en hauteur  — il est vraisemblable qu’à un moment donné, le buste sera entièrement enseveli.

[Lenin or bust]

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Au milieu de l'histoire, un détail m'a fait tendre l'oreille : le podcast précisait que l'expédition anglo-canadienne avait rejoint le pôle sud d'inaccessibilité à ski, en se faisant tracter par des cerf-volants — et j'étais très curieux de voir le matériel utilisé. C’est comme ça que je suis tombé sur un autre projet fascinant, WindSled : des traîneaux en bois habitables et tractés par des ailes.

Avec des vents modérés, l’équipe avançait à une vitesse de 10 à 15 km/h. Un jour particulièrement venté, ils atteignirent les 35km/h. L’une des principales difficultés étaient les sastrugi, ces crêtes de neige compacte que tous les explorateurs polaires doivent affronter. Le plus haut sastruga faisait 50cm de hauteur et dut être contourné. Les traîneaux pouvaient sauter par-dessus les plus petits. Au lieu de clous et de vis, les traîneaux étaient assemblés par des sangles, à la manière des Inuits, et s’arquaient en franchissant les bosses. À l’arrivée, seules 3 des 300 traverses s’étaient brisées.

[Now, this is kiting!]

2. Les faussaires

L'incomparable @temptoetiam m'a envoyé il y a quelques temps une histoire de faussaire que je trouve délicieuse. Il n'y avait pas de page Wikipédia en français donc je me suis permis de la créer en traduisant celle en anglais. C'est court alors je vous livre ma traduction in extenso :

Couverture du catalogue Fortsas
La vente Fortsas est un incident survenu à Binche, en Belgique, en 1840. Au cours de l'été, des libraires, des bibliothécaires et des bibliophiles de toute l'Europe reçurent un catalogue présentant une collection de livres rares qui devaient être vendus aux enchères.

Le catalogue prétendait que « Jean Népomucène Auguste Pichauld, comte de Fortsas » collectionnait les livres uniques, c'est-à-dire des livres dont il existait un seul exemplaire connu. À sa mort, le 1er septembre 1839, il en aurait possédé 52 différents. Peu intéressés par la bibliophilie, ses héritiers auraient décidé de vendre la collection aux enchères. La vente devait avoir lieu le 10 août 1840.

Le jour dit, de nombreux collectionneurs et érudits se rendirent à Binche dans l'espoir d'enchérir. Ils découvrirent cependant que l'office notarial où la vente aux enchères devait avoir lieu n'existait pas, pas plus que la rue dans laquelle ses bureaux étaient censés se trouver. Des avis affichés dans tout Binche affirmaient qu'il n'y aurait finalement pas de vente aux enchères, car la bibliothèque municipale avait acquis la collection. Mais ceux qui tentèrent de se rendre à la bibliothèque pour voir les livres constatèrent que Binche ne possédait pas de bibliothèque municipale. On découvrit ensuite que le comte de Fortsas n'avait jamais existé non plus.

Il fut finalement révélé que le canular avait été planifié et exécuté par le juriste, photographe et numismate Renier Hubert Ghislain Chalon, qui aimait jouer des tours élaborés aux érudits ; il était notamment membre de la Nouvelle Société des agathopèdes, une société savante burlesque dont les membres partageaient un certain goût pour le canular.

Ironiquement, le catalogue original de livres uniques fictifs que Chalon avait envoyé à ses victimes est lui-même devenu un objet recherché par les bibliophiles, qui a donné lieu à plusieurs réimpressions.

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Et si vous n'êtes pas encore repu d'histoires de faussaires belges, je vous invite à écouter ce podcast d'Arte Radio où l'on apprend comment entrer dans le métier, et les risques que cela comporte :

3. Les honnêtes gens

Pour finir, je profite d’avoir votre attention pour vous recommander chaudement la production de deux camarades talentueux.

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@Moritzou, le gars le plus cool de tout twitter, a récemment publié un petit fanzine à propos de l'histoire d'Unicode. C'est super joli, drôle et intéressant :

Il se murmure même qu’un numéro 2 est déjà en préparation.

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Et pour aller avec, l'indétrônable autrice de La vie matérielle, @notoriousbigre, a contribué au premier numéro de la revue Exercice.

Le reste du sommaire est particulièrement alléchant, lui aussi :

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À propos d'Exercice, au passage — leur numéro 0 contenait un article fascinant sur les monorails :

Simultanément aux prémices du développement du transport ferroviaire sont apparus des systèmes de transports fonctionnant sur un seul rail plutôt que sur deux. C’est peut-être un détail pour vous, mais cette idée est à la base de tout un pan — assez insolite — de l’histoire du transport terrestre aussi bien à l’échelle territoriale qu’à l’échelle urbaine. Surtout, malgré de nombreux échecs urbanistiques et économiques dans la vraie vie, la représentation des monorails tient une place bien particulière dans l’imaginaire collectif, qui en dit long sur nos rapports aux mobilités, à l’aménagement urbain prospectif et aux erreurs itératives en la matière.

[Chimères & fantasmes autour du monorail]

Photo : guillanst

Julien Béneyt s'y attardait notamment sur le Schwebebahn de Wuppertal, en Allemagne, ce qui m'a rappelé bien des souvenirs de l'été d'insouciance où j'y avais rejoint des amis (qui se reconnaîtront) pour faire du house-sitting :

Mis en service dès 1901 et toujours utilisé aujourd’hui, le Wuppertaler Schwebebahn est un monorail suspendu au-dessus de la ville, installé sur une ligne de plus de 13 kilomètres desservant une vingtaine de stations. Matériellement imposant — c’est un euphémisme— le Schwebebahn a l’énorme avantage de permettre aussi bien le survol des rues que de la rivière Wupper qui serpente le long du centre de la ville. Ce qui ne serait pas possible avec les autres systèmes de transports urbains plebiscités à l’époque, le métro et le tramway en tête.

[Chimères & fantasmes autour du monorail]

(On est devenu vieux quand on réalise qu'on a des souvenirs qui datent de 20 ans et qu'on était déjà adulte, disait ma mère)

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Et ce sera tout pour cette fois. Portez-vous bien, rongez votre frein, et surtout dépêchez-vous de faire vos courses merde il est déjà 17h15 vite les clés un sac le bonnet les gants ok j'y v— ah putain le masque— bon cette fois je file

À mercredi prochain.

M.

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ABSOLUMENT TOUT paraît un mercredi sur deux, avec chaque fois trois trucs intéressants.

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