Bonsoir tout le monde.

Cette semaine, on va parler de copies plus ou moins conformes, en tâchant de rigoler un peu.

1. Généalogie de la Twingo

Renault a récemment annoncé l'arrêt prochain de la production de la Twingo, près de 30 ans après la sortie du premier modèle. Malgré deux redesigns plus ou moins inspirés, la Twingo de 1992 est toujours celle qu'on a en tête, avec sa ligne arrondie et ses couleurs vives, ses phares écarquillés et ses portières énormes, et des aménagements intérieurs un peu gadget mais tellement cools (l'essuie-glace de bus, le compteur LCD, le toit ouvrant, les sièges avant inclinables à 90° pour faire office de lit, etc.).

Oui il y a plein de memes débilos avec la Twingo, et je les adore

Au hasard d'une discussion sur reddit, j'ai récemment appris qu'il était fréquent, en Pologne, d'estimer que le design de la Twingo avait été honteusement pompé sur un prototype polonais de 1983, la FSM Beskid :

Photo : Jakub Hału

Il y a effectivement comme un air de famille, et le fait que la Twingo a été lancée immédiatement après l'expiration des brevets polonais alimente les suspicions. Néanmoins, d'autres font valoir que Renault avait ses propres prototypes arrondis et très vitrés dès les années 70, et que si vraiment on veut faire une généalogie de la petite voiture twingoïde, il faut remonter à 1969, avec la Mitsubishi Commuter.

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D'ici 2024, la Twingo devrait être remplacée par une “R5 électrique”, parce que décidément il n'est rien qu'on ne puisse pas transformer en remake bouffi de ce qu'on méprisait hier encore. En attendant, des bricolages non-officiels permettent de convertir une vieille Twingo en voiture électrique — on parle de “retrofit”. Dès 2012, la société lituanienne Electron s'était spécialisée dans ces conversions et proposait des Twingo électriques au tarif de 8000 euros :

Le retrofit n'a été légalisé en France qu'en mai 2020, mais je ne doute pas qu'on verra bientôt fleurir les vieilles Twingo modernisées.

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(Oui je sais que normalement je devrais vous dire de laisser tomber les voitures en ville et de prendre le bus ou de faire du vélo, mais que voulez-vous, j’aime les Twingo)

2. Le blockbuster et son double

Les films américains à gros budget semblent souvent arriver par paire, ce qui peut avoir un côté déstabilisant.

(cliquez pour voir d'autres exemples dans le fil, quoique tous ne me paraissent pas pertinents)

C'est un phénomène pratiquement aussi vieux que le cinéma, mais qui tend à s'intensifier au moins depuis les années 80. Quand j'ai commencé à aller au cinéma, dans les années 90, on ne pouvait guère y échapper : les deux Robin des Bois de 1991, Tombstone et Wyatt Earp, Les liaisons dangereuses et Valmont, Braveheart et Rob Roy, Le Pic de Dante et Volcano, Kundun et Sept ans au Tibet, Truman Show et Ed TV, et j'en passe.

Ces films jumeaux sont souvent produits lorsqu'un livre ou un personnage entre dans le domaine public (d'où l'avalanche de Sherlock Holmes depuis 15 ans) ou, me semble-t-il avoir lu dans un Première il y a 25 ans, lorsqu'un script passe de producteur en producteur, que les négociations s'éternisent, et qu'un studio décide de coiffer les autres au poteau en produisant rapidement un film similaire (par exemple Deep Impact, dont la sortie a été accélérée pour damer le pion à Armaggedon — ce sont deux belles merdes donc c'était peut-être pas la peine de tant se fatiguer).

Parfois deux studios développent des films jumeaux, mais l’un des deux abandonne la partie avant le tournage, comme ce fut le cas avec les deux adaptations concurrentes de The Hot Zone, un thriller sur l’épidémie de virus Ebola : la Fox avait acheté les droits d’un article du New Yorker et la Warner ceux du livre écrit à partir de l’article. Finalement seul le film Warner, Alerte !, est sorti.

Enfin, il y a aussi parfois une forme de parasitisme, lorsqu'un film à petit budget tente de profiter de l'aura d'un blockbuster sur un thème similaire (on peut citer The Zodiac sorti un peu avant le Zodiac de David Fincher).

Même quand il s'agit de deux gros films de studio, on remarquera qu'il y a souvent un vainqueur resté dans les mémoires et un vaincu tombé dans l'oubli. Parfois c'est injuste (au rayon action-aventure, The Losers me semble très supérieur L'Agence tous risques, tous deux sortis en 2010), et d'autres fois c'est amplement mérité (il n'y a pas vraiment photo entre Sauvez Nemo et Gang de requins).

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À propos de films d'animation, d'ailleurs — ce n'est pas vraiment un hasard si le début des années 2000 a vu une avalanche de jumeaux produits par Disney / Pixar et DreamWorks Animation :

Dans sa jeunesse, Katzenberg s’était attribué une large part du mérite de la soudaine renaissance créative et commerciale des films d’animation Disney, au début des années 1990. (...) Mais quand le président de Disney Michael Eisner mit Katzenberg dehors en 1994, Katzenberg jura qu’il se vengerait. Avec Steven Spielberg et David Geffen, Katzenberg fonda DreamWorks, et il fit tout ce qui était en son pouvoir pour que la division animation de son nouveau studio devienne capable d’écraser son ancien employeur, entreprenant un travail de sape méthodique et direct de Disney.

Une fois DreamWorks lancé, le studio commença à sortir des films proches des thèmes employés au même moment par Disney et leurs partenaires de Pixar —et ce n’était pas très difficile, parce que Katzenberg avait travaillé sur le pipeline de développement de ces films. En 1998 par exemple, après Toy Story, un film sur lequel Katzenberg avait travaillé, Pixar a sorti 1001 pattes. Mais un mois et demi avant sa sortie en salle, DreamWorks a sorti Antz, un autre film sur les aventures d’une fourmi ouvrière rebelle et d’une princesse.

[Shrek 2 turned one executive’s petty grievances into a box office fairy tale]

La stratégie de revanche de Katzenberg a culminé avec la série des Shrek, qui sont moins des copies que des attaques en règle contre Disney et plus généralement Hollywood (et qui ont d'ailleurs atrocement mal vieilli).

3. Tautologies

Pour la route, sur un thème très vaguement adjacent, je vous offre cette réjouissante liste de toponymes pléonastiques, c'est-à-dire dont les différentes composantes sont redondantes. Cela arrive fréquemment, nous dit Wikipédia, aux îles, aux cours d'eau et aux montagnes :

Au cours du temps, les langues changent, elles évoluent ou sont remplacées par d'autres. Par contre, les noms de lieux ont tendance à se maintenir, devenant ainsi des noms propres dont la signification échappe au plus grand nombre, on dit qu'ils sont délexicalisés. Ainsi, même si Ventoux a signifié « mont » dans une langue antérieure ou dans la même langue qui a évolué et dont le mot s'est perdu, on dira pourtant « le mont Ventoux ».

[Toponyme pléonastique — Origine]

Mountains on Io: High-resolution Galileo observations, initial interpretations, and formation models

Le record est apparemment détenu par le Mongibello Mons, une formation géologique de 8,5 km de haut sur Io, un satellite de Jupiter. Les astronomes l’ont baptisé d’après le nom que Dante donnait à l’Etna, Mongibello, et qui est déjà un pléonasme : c’est une transcription du sicilien Mongibeddu, qui vient lui-même du latin Mons et de l’arabe Djebel. Donc c’est le Mont Mont Mont.

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La page Wikipédia des toponymes pléonastiques est bardée d’avertissements et de [référence nécessaire], mais pour ma part je la trouve exquise. Ma sous-catégorie favorite est celle des villes et villages dont le nom est composé de deux toponymes voisins :

[Toponyme pléonastique — Autres exemples]

Chacun de ces noms me paraît incroyablement exotique et alléchant, au bout de six mois coincé entre Paris et Montreuil sans pouvoir mettre le nez dehors.

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Et ce sera tout pour cette fois.

À la semaine prochaine pour une newsletter un peu spéciale, pour fêter le premier anniversaire d'ABSOLUMENT TOUT.

M.

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